Publié le 18 décembre 2025 Mis à jour le 22 décembre 2025

Vivre sur la Lune ou sur Mars… Pour que le rêve devienne réalité, il faudra que l’Humain y crée ses conditions de survie, notamment alimentaire.

Vivre sur la Lune ou sur Mars… Pour que le rêve devienne réalité, il faudra que l’Humain y crée ses conditions de survie, notamment alimentaire. En novembre dernier, plus de 40 scientifiques issu·e·s de 11 pays et de 7 agences spatiales dont la NASA ont publié un document d’état des lieux des connaissances sur le développement des végétaux dans l’espace et des défis de la recherche dans le domaine. Lucie Pouletchercheuse en bioastronautique et procédés du support de vie à l’Institut Pascal (UCA/CNRS/Clermont Auvergne INP) et Valérie Legué, enseignante-chercheuse en biologie végétale à l’UCA et au sein du laboratoire PIAF (UCA/INRAE) y ont contribué et partagent avec nous les dessous d’un projet international ambitieux.

En quoi vos travaux de recherche s’inscrivent-ils dans ce grand objectif de production végétale dans l’espace ?

Valérie Legué : J’étudie les mécanismes de la perception de la gravité[1] par les racines. Avec mes collègues, nous essayons de comprendre comment la gravité influence certains mécanismes biologiques de la plante comme la croissance des racines ou celle des tiges. Nous utilisons par exemple des instruments comme des clinostats qui mettent une plante en rotation pour contrebalancer l’effet de la gravité. La plante est ainsi soumise à une microgravité, c’est-à-dire des forces de gravitation très faibles, similaires à celles rencontrées dans l’espace.

Jeune peuplier en position horizontale, installée sur un clinostat  (au départ de l'expérience)
Jeune peuplier en position horizontale, installée sur un clinostat (au départ de l'expérience) - Jeune peuplier en position horizontale, installée sur un clinostat (au départ de l'expérience)

Jeune peuplier présentant une réponse gravitropique après plusieurs heures en position horizontale, installée sur un clinostat
Jeune peuplier présentant une réponse gravitropique après plusieurs heures en position horizontale, installée sur un clinostat - Jeune peuplier présentant une réponse gravitropique après plusieurs heures en position horizontale, installée sur un clinostat


Lucie Poulet : De mon côté, je crée des modèles mécanistes prédictifs. C’est-à-dire que je mets en équation les mécanismes élémentaires liés au développement végétal et crée des modèles capables de prédire sa croissance en fonction de la variation de divers paramètres environnementaux. Les données issues de la recherche fondamentale en écologie végétale comme par exemple le taux de croissance en fonction de la température ambiante ou de la gravité, me servent ensuite à valider ces modèles.

V. L.: Nos travaux sont donc très utiles pour comprendre et anticiper comment un végétal risque de se comporter dans l’espace où les conditions environnementales sont très particulières.

Pourquoi ces travaux sur la culture de végétaux dans l’espace pourraient apporter des solutions pour optimiser la production végétale sur Terre ?

V. L. : Lorsque l’on étudie le développement des végétaux dans l’espace, on travaille sur un environnement avec des contraintes fortes et compliquées qui nous forcent à développer des systèmes ou des technologies que l’on n’aurait pas développé dans un cadre purement terrestre. Et ces capacités d’adaptation à des contraintes fortes pourront servir pour optimiser les cultures dans le contexte de changement climatique avec des températures et concentrations en dioxyde de carbone élevées, des hygrométries[2] changeantes, etc. Nous espérons aussi que nos travaux puissent être utiles aux populations qui vivent actuellement dans des régions où les plantes poussent difficilement comme dans la région arctique ou les environnements désertiques.

Le manque de partage des données expérimentales a été identifié comme un frein à “l’accélération du progrès”...

L. P. : Nous avons en effet constaté que plusieurs groupes de recherche étudiaient sous divers angles le développement des végétaux dans l’espace. Des travaux concernent par exemple l’étude des réactions des plantes à la gravité ou au stress. Des expérimentations ont même déjà été menées dans l’espace. Mais les données issues de toutes ces études ne sont malheureusement pas encore assez mutualisées à l’échelle internationale. Or -si je ne parle que de mon activité de recherche- pour créer des modèles prédictifs solides, j’ai besoin d’une base de données fiable, standardisée et accessible… Alors, pour aller dans le sens d’une collaboration internationale, l’utilisation d’une échelle d’évaluation du niveau de préparation d’une plante à aller dans l’espace (“BLiSS readiness level” en anglais) a été collectivement adoptée. Cet outil de référence pour tous les groupes qui travaillent sur le végétal dans l’espace permettra d'attribuer une note à chaque plante. Plus la plante sera prête à être cultivée à grande échelle dans l’espace, plus elle aura une note élevée. L’obtention d’une note élevée passera par les étapes de connaissances de l’écologie du végétal, de tests en laboratoire recréant des conditions analogues à celles de l’espace puis de tests dans l’espace…

Pour l’instant, seules quelques tomates ou laitues ont poussé dans la Station Spatiale Internationale (ISS). Que reste-t-il à développer pour créer des systèmes vivriers sur Mars ou sur la Lune ?

L. P. : Pour contourner la difficulté de cultiver sur des substrats pas forcément adaptés à nos végétaux terrestres, des techniques comme l’hydroponie[3] ou l’aéroponie[4] sont déjà identifiées et préconisées mais il reste encore beaucoup de travail pour réussir à adapter ces techniques à l’espace. Il reste également à expérimenter autour des radiations et de la circulation de gaz qui sont différentes dans l’espace. Malheureusement, même si les ambitions sont grandes, il y a eu pas mal de coupures budgétaires à la NASA qui vont impacter les expérimentations scientifiques pour les années à venir… Une expérimentation reste néanmoins d’actualité : la NASA prévoit de renvoyer des humains sur la Lune en 2027 via la mission Artemis III et à travers l’expérience “LEAF”, il est prévu d’étudier comment l’environnement lunaire affecte la germination et la croissance des plantes.


 

[1] Gravité : phénomène d'attraction d'un corps vers le centre de la terre

[2] Hygrométrie : taux d’humidité présent dans l’air

[3] Hydroponie : culture de plantes réalisée sur un substrat neutre et inerte (de type sable, pouzzolane, billes d'argile, laine de roche etc.). Ce substrat étant irrigué par une solution qui apporte des éléments nutritifs essentiels à la plante.

[4] Aéroponie : culture de plantes avec une absence totale (ou presque) de sol. Les plantes sont suspendues dans l'air, leurs racines recevant un apport régulier de fines gouttelettes nutritives