Publié le 16 décembre 2025–Mis à jour le 16 décembre 2025
The Conversation - Comment bien réagir à une crise quand on ne peut plus l’éviter ? Il ne suffit pas de créer une cellule spéciale dans la précipitation pour réussir à traverser ce moment délicat de la vie des entreprises, des administrations et même des musées. L’observation de plusieurs de ces organisations « ad hoc » révèle un certain nombre d’invariants.
Comment bien réagir à une crise quand on ne peut plus l’éviter ? Il ne suffit pas de créer une cellule spéciale dans la précipitation pour réussir à traverser ce moment délicat de la vie des entreprises, des administrations et même des musées. L’observation de plusieurs de ces organisations « ad hoc » révèle un certain nombre d’invariants.
Le récent cambriolage des bijoux et joyaux de la couronne qui s’est déroulé en moins de 500 secondes a plongé le Musée du Louvre dans une crise profonde. En quelques heures, les critiques fusent : gouvernance, sécurité, communication, investissements… tout est remis en question, des réseaux sociaux jusqu’à l’Assemblée.
Quelques minutes suffisent pour faire basculer une organisation. En sortir demande souvent des semaines, voire des mois. La bonne gestion d’une crise est d’ailleurs un élément clé de la pérennité d’une organisation. En effet, de nombreuses entreprises cessent leur activité à cause d’une mauvaise gestion de crise.
Un illustre exemple est l’entreprise Spanghero, qui a été placée en liquidation judiciaire quelques mois après la révélation de la fraude à la viande de cheval dans des lasagnes pourtant censées être préparées avec de la viande de bœuf. Une alternative pourrait être d’éviter la crise, comme certaines entreprises semblent le souhaiter, mais cela est antinomique avec la notion même de crise qui consiste en un « événement soudain et imprévisible qui s’amplifie rapidement ».
Dix ans d’observation
Malgré son importance et les limites des méthodes actuelles, la gestion de crise reste peu étudiée. Nous nous intéressons spécifiquement aux cellules de crise, à leur structuration, ainsi qu’à la répartition et à l’activation des rôles qui la composent. Pour y parvenir, une recherche-intervention a été conduite pendant dix ans au sein du groupe Michelin. Ce travail a été complété par des rencontres avec trente experts internationaux de la gestion de crise.
Une cellule de crise, c’est une équipe temporaire chargée de gérer les effets immédiats d’un événement critique. C’est donc avant tout une situation subie qui bouscule l’agenda de ses membres et les place dans un environnement sous haute contrainte : de temps, d’efficacité et de personnes. Les cellules de crise sont protéiformes et peuvent se matérialiser différemment d’une entreprise à l’autre tant sur leur structure, leur composition, leurs objectifs ou leur fonction.
Ces différences tiennent à la culture, au secteur ou simplement aux moyens disponibles. Une grande compagnie aérienne disposera nécessairement d’une approche différente d’une petite entreprise du secteur informatique.
Six fonctions vitales
Cependant, plusieurs éléments semblent communs aux cellules de crise. Le plus souvent, le dirigeant prend d’abord la tête de la cellule, avant qu’elle ne s’élargisse aux fonctions support au fil de la crise. Aussi, six grandes caractéristiques sont partagées par ces entités :
Simplifier la complexité (sensemaking) : face à l’incertitude et à la surcharge d’informations, la cellule de crise doit être un espace d’interprétation collective. Son rôle consiste d’abord à donner du sens, transformer le chaos en compréhension partagée, et permettre des décisions fondées sur l’expérimentation – essai, erreur, correction.
Créer une représentation partagée : tous les membres doivent disposer de la même lecture de la situation. La cellule a donc pour mission d’harmoniser les informations et les priorités afin que chacun agisse en cohérence avec les autres, sans malentendus ni angles morts.
Voir au-delà de l’urgence du moment
Faciliter l’anticipation : la cellule doit aider à voir au-delà de l’urgence. En identifiant les évolutions possibles de la crise et les risques associés, elle permet de préparer des réponses adaptées à chaque scénario, renforçant ainsi la capacité d’anticipation collective.
Concevoir des plans d’action : une cellule de crise efficace ne se contente pas de réagir ; elle planifie. Elle élabore des stratégies concrètes, définit les étapes opérationnelles et précise les responsabilités pour sortir de la crise de manière ordonnée et cohérente.
Prendre des décisions efficaces : sous pression, la capacité à décider vite et bien devient cruciale. La cellule doit combiner réactivité et discernement, en s’appuyant sur les données disponibles et sur la diversité d’expertise de ses membres pour arbitrer avec justesse.
Coordonner les parties prenantes : enfin, la cellule assure la mise en cohérence de tous les acteurs impliqués ; équipes internes, partenaires externes, institutions, médias. Sa mission : synchroniser les efforts, fluidifier la circulation de l’information et optimiser l’usage des ressources.
Sept rôles clés
Une cellule de crise efficace repose sur une répartition claire des missions entre ses membres. Notre modèle a été observé sur 93 simulations de crises et 18 cellules réelles (notamment pendant la pandémie de Covid-19), puis validé par 30 experts internationaux (France, Roumanie, Pologne, Grande-Bretagne, Québec, Canada, Belgique). Chaque rôle contribue à maintenir la cohérence et la réactivité de l’ensemble, tout en garantissant la prise de décision dans un environnement incertain.
Le leader fixe le cap. Il définit les priorités, arbitre les décisions stratégiques et veille à la cohérence globale de l’action. Sa capacité à trancher et à assumer ses choix est déterminante pour éviter la paralysie décisionnelle.
Le responsable de la communication élabore et pilote le plan de communication interne et externe. Il veille à ce que les messages diffusés soient clairs, cohérents et adaptés aux différents publics (direction, collaborateurs, médias, autorités, réseaux sociaux).
Le facilitateur (ou coordinateur) assure la fluidité du fonctionnement collectif. Il garantit le respect des délais, la dynamique productive de la cellule et la bonne coopération entre ses membres, souvent soumis à une forte pression.
Mémoire de la crise
Le scribe (ou secrétaire) tient la mémoire de la crise. Il consigne les faits, les décisions et les actions entreprises, permettant un suivi rigoureux et la capitalisation d’expérience indispensable au retour d’analyse post-crise.
L’anticipateur se projette dans l’avenir. Sa mission consiste à imaginer les scénarios possibles, à identifier les risques secondaires et à proposer des mesures préventives ou correctrices avant qu’ils ne se produisent.
L’interventionniste agit sur le terrain. Il traduit les décisions en actions concrètes et coordonne les équipes opérationnelles. Sa priorité est d’assurer la sécurité des personnes et des biens, tout en maintenant la continuité des activités essentielles.
BFM 2022.
Le logisticien et support soutient l’ensemble de la cellule. Il veille à la disponibilité des ressources humaines, matérielles et techniques nécessaires au bon déroulement des opérations, afin que chaque membre puisse se concentrer sur sa mission principale.
Un répertoire de compétences
Cette architecture de cellule de crise doit avant tout être comprise comme un répertoire de compétences – individuelles et collectives – et de missions, plus que comme une structure figée. Dans les petites organisations, une même personne peut cumuler plusieurs fonctions ; dans les plus grandes, certaines responsabilités sont déjà intégrées dans le fonctionnement courant. L’essentiel n’est donc pas le nombre de rôles mais leur existence et leur articulation.
Ces fonctions représentent autant de compétences stratégiques que toute organisation devrait cultiver : capacité à décider, à communiquer, à anticiper, à coordonner. Penser la crise sous cet angle, c’est accepter de sortir des schémas hiérarchiques habituels pour laisser place à l’agilité, à la transversalité et à la coopération.
Surtout, chaque crise devient un moment d’apprentissage collectif. Les outils, réflexes et savoir-faire développés dans l’urgence laissent des traces durables : meilleure adaptabilité, intelligence émotionnelle accrue, réflexe d’entraide. Autant de qualités qui, au-delà de la crise elle-même, renforcent la résilience de l’organisation face aux bouleversements du monde. En somme, la cellule de crise n’est pas qu’un dispositif de gestion du risque : c’est aussi un laboratoire de compétences et de confiance.
Carole Bousquet
Professeur associée à l'Université Jean Moulin Lyon 3
François Nicolle
Directeur Académique
The Conversation
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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