Publié le 10 décembre 2024 Mis à jour le 10 décembre 2024

Découvrez le portrait de Vincent Barra, professeur des universités en science informatique au LIMOS et spécialiste d’intelligence artificielle et de machine learning (apprentissage automatique).



Professeur des universités, de science informatique au LIM
OS[1], Vincent Barra se définit avant tout comme enseignant-chercheur, spécialiste d’intelligence artificielle et de machine learning (apprentissage automatique). Des thématiques qui ont le vent en poupe.

Vincent Barra est très disert quand il évoque son métier, les projets sur lesquels il travaille, ses multiples collaborations… beaucoup moins lorsqu’il s’agit d’évoquer son parcours personnel. Il faut dire qu’il n’en a pas tellement l’habitude. Généralement quand on vient le voir, c’est soit pour lui proposer un nouveau défi (car ses projets s’apparentent bien souvent à des défis) soit pour le prier de dispenser une formation sur l’intelligence artificielle (IA). Depuis que l’IA générative est sortie des labos pour faire une entrée fracassante dans les foyers, les salles de classe, les universités… les sollicitations pleuvent. Les uns (enseignants) se demandent comment l’intégrer à leurs enseignements, les autres (personnels administratifs) comment s’en servir pour se décharger de tâches pénibles, et tous aimeraient bien savoir générer correctement un « prompt » (une requête) pour obtenir une réponse utile. « Ça n’arrête pas ! ».

Explorateur de la donnée

Hormis le fait que son agenda déjà bien rempli n’est pas extensible, ça ne le dérange pas tant que ça. Il prend plaisir à expliquer. Son truc à lui, ce sont les modèles d’IA à base de réseaux de neurones profonds, qui apprend-on, sont un ensemble d’algorithmes inspirés du cerveau humain, qui règlent leurs millions de paramètres pour apprendre une tâche donnée, en analysant des millions d’exemples de cette tâche.

Son métier, il le décrit en deux volets : l’un plutôt méthodologique, qui consiste à « développer des modèles un peu originaux », l’autre applicatif : les porteurs de projet (scientifiques, industriels…) le sollicitent car ils ont des données et besoin d’un coup de main pour les analyser. « Je travaille avec plein de collègues issus de domaines très variés, de la biologie à la chimie à la psychologie, la physique… énumère le chercheur. C’est une particularité de l’informatique d’être pluridisciplinaire. Il y a des gens, dont je fais partie, qui sont très intéressés par le fait d’appliquer ce qu’ils font à des domaines qui sont complètement différents. On se nourrit les uns les autres. »

À l’écouter, on se dit que Vincent Barra est en fait un explorateur, qui à travers l’informatique et la donnée, se plait à investiguer de nouveaux territoires de connaissance et à relever des défis. Mais collectifs les défis, toujours. D’ailleurs l’enseignant-chercheur ne dit pas « je » mais « on », lorsqu’il évoque ses nombreux projets. La recherche, a fortiori dans un domaine aussi transversal que le sien, ne se fait jamais en solo.

De la volcanologie à la physique des particules

Rien de tel que des exemples pour éclairer un domaine somme toute un peu obscur : Vincent Barra a récemment travaillé avec des volcanologues du LMV[2] et de l’INGV[3]. L’objectif du projet était de construire un modèle de prédiction de risques liés à des systèmes hydrothermaux[4] pour pouvoir alerter les populations et les autorités à temps. Les données à analyser ne provenaient (évidemment) pas de nos volcans auvergnats (très) endormis, mais de volcans italiens en activité bardés de capteurs (pression, température, humidité, etc.). « Le modèle que nous avons développé est basé sur des réseaux de neurones profonds, il identifie des anomalies dans les signaux et les relie à des causes physiques. »[5].

Les incursions du chercheur ne se limitent pas à la volcanologie, loin de là :  Vincent Barra travaille aussi avec des microbiologistes du LMGE[6], qui en analysant des données de microbiote intestinal[7] tentent de prédire la prématurité ; avec des physiciens du LPCA[8], qui mènent des expériences sur le grand collisionneur de hadrons (accélérateur de particules) du Cern[9] – « Là l’objectif, c’est de regarder si parmi toutes les collisions détectées, il n’y aurait pas des choses anormales, qui ne pourraient pas être expliquées par le modèle standard de la physique » –, avec Michelin, l’ICCF[10] et le LMBP[11] sur la dynamique moléculaire de polymères, qu’il s’agit de simuler à l’aide de modèles d’IA générative…

« Il faut comprendre les données. Un même tableau de chiffres, selon la discipline, ne veut pas dire la même chose, relève Vincent Barra. C’est cela que je trouve intéressant. Vous embarquez plein de domaines différents, vous vous faites une culture très large. Vous n’êtes expert d’aucun des domaines, mais vous arrivez à comprendre des choses en chimie, en biologie, en volcanologie… »

À l’essentiel

Au fond, le chercheur a toujours aimé cette transversalité. Sa thèse (Cifre), réalisée entre 1997 et 2000 sous la direction de Jean-Yves Boire, alors directeur de l’ERIM[12], en collaboration avec la société Segami[13], mêlait déjà imagerie médicale et informatique : « Je travaillais déjà en pluridisciplinaire, ce n’était pas de l’IA mais de l’analyse de données au sens large, c’était du traitement d’image. » L’objectif était (notamment) de parvenir à localiser de manière automatique des structures profondes dans le cerveau pour guider le geste du chirurgien.

L’informatique n’était (et n’est toujours) pour lui qu’un outil lui servant à développer des modèles – « Si je pouvais éviter de faire du code, j’éviterais ! ». Outil qui arrive d’ailleurs assez tard dans son parcours. Certes son père travaillait dans un service informatique d’une société pharmaceutique, mais lui ce qu’il aimait « c’étaient les maths et la physique », dit-il. Prépa donc, « Math Sup Math Spé » à Compiègne. Là, un professeur le marque durablement, Alain Walbron. « Il était passionné, avait une rigueur qu’il transmettait à ses élèves. On en prenait plein la tête parce qu’on était en prépa, mais c’était vraiment chouette. » Vincent Barra ne s’étend pas, va à l’essentiel, cite une autre rencontre déterminante quelques années plus tard, celle d’Alain Quilliot, fondateur de l’ISIMA[14] et du LIMOS, qui sera son professeur en école d’ingénieur à son arrivée Clermont-Ferrand en 1993, avant de devenir son collègue et ami.

« Il avait un côté très direct que j’aimais bien, notamment sur le fait que ma matière n’était pas forcément sa tasse de thé mais il l’assumait et moi je l’acceptais ! » se souvient avec amusement Alain Quilliot, que l’on retrouve dans son bureau au LIMOS, à quelques pas de celui de Vincent Barra. « Il est très indépendant quant à ses idées, s’il n’a pas envie de quelque chose il ne le fera pas. C’est quelqu’un de talentueux qui se passionne pour ce qu’il fait. »

L’IA au cœur

Un bosseur aussi, que l’on croise parfois très tôt au laboratoire. Lorsque Vincent Barra prend la direction de l’ISIMA en 2012, l’école vient de subir une baisse de recrutement, il prend le problème à bras-le-corps. « Cela me rendait très pessimiste, mais il a su inverser la tendance, il a fait ce qu’il fallait », ajoute Alain Quilliot. Non sans stress ni pression. « Il prend les choses très à cœur. ».

Après cinq ans de mandat, Vincent Barra choisit de revenir à ses intérêts premiers, la recherche et l’enseignement – il est tout de même directeur délégué aux études et à la vie étudiante de l’INP[15] Clermont-Auvergne depuis 2021, ce qui lui prend « pas mal de temps ». Les projets ne manquent pas, l’IA est à la mode. En mai 2024, le Gouvernement réaffirme sa stratégie nationale pour l’IA[16] : l’objectif est de positionner la France parmi les leaders mondiaux en finançant neuf pôles d’excellence. Le MIAI cluster[17] (Universités de Grenoble, Savoie Mont Blanc et l’Université Clermont Auvergne) fait partie des lauréats, avec un financement à hauteur de 70 millions d’euros pour 5 ans. Vincent Barra intègre la commission scientifique et le comité exécutif du cluster, dont les membres partagent une vision commune : « une IA frugale, peu consommatrice d’énergie, de ressources, digne de confiance, au service de la société. » Un appel à chaires[18] a été lancé en septembre, encourageant les dimensions recherche, innovation, formation, des projets pluridisciplinaires et multisites. On soupçonne le chercheur hyperactif. Voilà de quoi l’occuper pour quelques années.


 

[1] Laboratoire d’Informatique, de Modélisation et d’Optimisation des Systèmes.
[2] Laboratoire Magmas et Volcans.
[3] Institut National de Géophysique et de Volcanologie (Italie).
[4] Sous les volcans, l’eau et le feu cohabitent et génèrent les systèmes hydrothermaux, sorte de machines à vapeur complexes. Lors des crises volcaniques, ces systèmes enregistrent en général les premières perturbations associées à des variations de contraintes ou à l'arrivée de magma en profondeur.
[5] Pour en savoir plus sur les systèmes hydrothermaux des volcans, consulter notre vidéo Science% Auvergne N°9 : https://puydesciences.uca.fr/le-media/videos/science-auvergne-n9-connaitre-letat-dun-systeme-hydrothermal-volcanique-grace-a-la-chaleur-quil-emet
[6] Laboratoire Microorganismes : Genome Environnement
[7] Ensemble des micro-organismes peuplant le tube digestif.
[8] Laboratoire de Physique de Clermont Auvergne
[9] Organisation européenne pour la recherche nucléaire
[10] Institut de Chimie de Clermont-Ferrand
[11] Laboratoire de Mathématiques Blaise Pascal
[12] Équipe de Recherche en Imagerie Médicale, Université d’Auvergne
[13] Spécialisée dans le développement de logiciels d’imagerie médicale
[14] Institut Supérieur d’Informatique, de Modélisation et de leurs Applications
[15] Institut National Polytechnique. Clermont Auvergne INP regroupe trois écoles d’ingénieurs clermontoises : SIGMA Clermont, ISIMA et Polytech Clermont.
[16] https://www.economie.gouv.fr/strategie-nationale-intelligence-artificielle
[17] Multidisciplinary Institute for Artificial Intelligence Cluster
[18] Une chaire permet de financer des ressources humaines, du fonctionnement, de la formation, etc. sur une thématique donnée.