Publié le 16 janvier 2025 Mis à jour le 20 janvier 2025

Découvrez le portrait de Catherine Picon-Cochard, chercheure en écophysiologie végétale et directrice de l’UREP (INRAE/VetAgro Sup)


Formée dans les années 1990 par des pionniers des études d’impact du changement climatique sur les arbres et la prairie, Catherine Picon-Cochard s’est engagée dans la recherche avec passion. Aujourd’hui directrice de l’UREP (Unité mixte de recherche sur l’écosystème prairial
[1]), elle cultive cet héritage, au cœur d’enjeux majeurs de transition et d’adaptation.

Faire le portrait de Catherine Picon-Cochard, c’est d’abord évoquer la scientifique, intarissable sur sa spécialité, l’écophysiologie[2]. Installé dans son bureau du site de Crouël (un des sites du centre INRAE Clermont-Auvergne-Rhône-Alpes), on pourrait l’écouter des heures nous détailler les innombrables « manips » qu’elle a menées, les outils expérimentaux qu’elle a testés (le « rhizotron »[3] !), les aventures scientifiques dans lesquelles elle s’est engagée au cours de sa longue carrière.

Aujourd’hui directrice d’unité (DU), elle ne craint nullement de s’ennuyer quand prendra fin son mandat dans deux ans : des projets scientifiques, elle en a plein la tête. Pour l’heure, c’est l’agrivoltaïsme[4] qui occupe le peu de temps de recherche que lui laissent ses responsabilités de DU. En plein boom du solaire, les énergéticiens installent des panneaux photovoltaïques dans les prairies et ont besoin de connaitre leur impact sur l’écosystème prairial, les communautés végétales, la biodiversité. Sollicitée en 2018, l’unité hésite et décide finalement d’investir le sujet. « Nous savions que nous pouvions réaliser les études sérieusement et apporter des éléments factuels et quantitatifs », explique Catherine Picon-Cochard.

Il faut dire que les prairies rendent de nombreux services, pas seulement aux agriculteurs : elles sont un havre de biodiversité ; les systèmes racinaires des plantes limitent l’érosion des sols et filtrent l’eau ; elles stockent aussi de grosses quantités de carbone accumulé dans les matières organiques des sols. « C’est de la richesse invisible, donc si on met des panneaux solaires, ça devient quoi tout ça ? » Pas question de laisser une telle question en suspens.

L’écophysiologie, une révélation

Mais il faut remonter le temps pour comprendre les engagements scientifiques de Catherine Picon-Cochard. L’écophysiologie est une rencontre presque inespérée, une chance. Elle découvre cette discipline lors de son année de licence, au début des années 1990. Native de Saint-Etienne, fille d’enseignants, l’étudiante aime bien les sciences et s’intéresse à la biologie sans être franchement passionnée. En Deug[5], la biologie animale la rebute un peu –la dissection l’en détourne comme tant d’autres à l’époque –, la biologie végétale a sa préférence. Sélectionnée pour intégrer la licence et la maitrise de « biologie végétale, appliquée aux productions végétales » à Angers, au sein d’une petite promotion, elle réalise son premier stage de trois mois à l’Inra[6] de Bordeaux : elle y découvre avec enthousiasme les recherches menées sur les arbres (des populations de pins maritimes) et la sécheresse. « C’était parti ! J’ai dévoré les articles, ma maître de stage était super, je ne comptais plus mon temps, se souvient Catherine Picon-Cochard, qui avoue ne pas avoir été une étudiante particulièrement brillante, « sauf au bon moment ! »

La suite est faite d’évidences et d’opportunités. La jeune femme aurait pu choisir de poursuivre en DEA[7] à Bordeaux, elle choisit Nancy. Curiosité ou intuition, le sujet de recherche que lui propose l’équipe nancéienne a sa préférence. Il faut dire que le thème est novateur pour l’époque : il s’agit d’étudier l’impact du changement climatique sur les arbres. « C’était original, ça m’a plu. » Elle décide de poursuivre sur ce même thème en thèse, sous la direction de Jean-Marc Guehl, pionnier du domaine. « Je travaillais sur l’interaction entre l’augmentation du CO2 de l’air et la sécheresse. L’idée était de regarder si le CO2 modifie l’efficacité de jeunes arbres à utiliser l’eau ».

De l’individu à la communauté

1996 est un tournant dans la vie de la chercheure : après avoir soutenu sa thèse, elle débute un post-doctorat à l’unité d’agronomie (URAC, future UREP) de l’Inra de Clermont-Ferrand et troque les arbres pour la prairie. « J’ai dû m’y former, la prairie c’est autre chose qu’un arbre ! La notion d’individu est plus compliquée, il y a plein d’espèces… » Reste néanmoins la question du changement climatique, qu’elle continue d’explorer comme un fil rouge, aux côtés désormais de Jean-François Soussana[8], autre pionnier du domaine.

En 2002, sur décision du département de recherche, Catherine Picon-Cochard doit réorienter ses activités et se voit contrainte de concentrer ses travaux sur les racines des plantes. D’abord déstabilisée, la scientifique ne tarde pas à rebondir. Ses nombreuses années à pratiquer un sport collectif, le basket, ont aiguisé ses capacités de résilience. « Je pense à avoir une certaine capacité à oublier les choses frustrantes », sourit-elle.

Elle noue vite de nouvelles collaborations, avec le Cefe[9] de Montpellier. « Une collègue étudiait les traits racinaires[10] des plantes, j’ai pu me greffer sur des dispositifs expérimentaux. J’ai donc continué les recherches sur les effets du changement climatique sur les communautés végétales, mais à l’échelle de systèmes racinaires ». Le champ de recherche, inexploré, est vaste. « On travaillait avec des cohortes de racines. On prenait tous les mois des photographies au même endroit. Sur chacune des images, il y avait un certain nombre de racines qu’il fallait dessiner avec un logiciel, on voyait ainsi la date de leur apparition, puis on la suivait dans le temps… » L’analyse des données (images et statistique) est complexe, la chercheure ressent le besoin de se former. Elle s’envole un an pour l’Ecosse, en famille. Et revient avec une expertise précieuse : « Après, j’ai caractérisé les traits racinaires d’un certain nombre d’espèces prairiales, je me suis amusée un petit moment. »

Ses photos des systèmes racinaires des plantes font partie de sa marque de fabrique.
Ses photos des systèmes racinaires des plantes font partie de sa marque de fabrique.

Changement climatique et adaptation

En phase avec une époque de plus en plus soucieuse des effets du changement climatique et d’enjeux d’adaptation, suivent dans les années 2000 de nombreux travaux de simulation du climat futur, entre plaine et moyenne montagne. Catherine Picon-Cochard s’y investit pleinement. « C’est quelqu’un de travailleur », observe sa collaboratrice Laurence Benedit[11].

Pour simuler le réchauffement, la chercheure et son équipe prélèvent des blocs de prairie à Theix, à 850 mètres d’altitude (+3,5°C, scénario climatique du Giec à l’horizon 2050) et les redescendent sur le site de Crouël, caractérisé par de plus faibles précipitations en été. Un dispositif permet d’injecter du CO2 pur dans les échantillons. « On a bien vu l’effet fertilisant du CO2, mais pas longtemps. Le fait de réchauffer est positif pour les plantes s’il n’y a pas de déficit hydrique, la température stimule la croissance jusqu’à un certain seuil. Au bout de deux-trois ans, ça décline, les plantes de moyenne montagne ne sont plus du tout adaptées à la plaine. »

La problématique de la sécheresse s’invite aussi dans les travaux de l’unité : à la fin des années 2000, les éleveurs commencent à souffrir d’un manque de fourrage à la suite de sécheresses estivales. Avec Jean-François Soussana, Catherine Picon-Cochard met sur pied un nouveau projet expérimental ambitieux. Il s’agit cette fois de simuler une baisse de précipitations et une vague de chaleur, sur plusieurs sites en France dont Theix. « Nous avons cherché à comprendre ce qui faisait que les plantes résistaient plus ou moins à la sécheresse et avons étudié la résilience, le temps nécessaire à la prairie pour récupérer. »

Sans polémique

« On a fait aussi une très grosse manip à l’Ecotron[12] CNRS de Montpellier… » La scientifique est volontiers bavarde, il y a trop à dire et à décrire, tant les projets sont foisonnants : effet des pratiques agricoles sur la dynamique des racines, caractérisation d’écotypes[13] issus de zones climatiques sèches (Maroc) – « L’idée est de voir s’il y a un potentiel à les planter dans nos prairies, car si elles se dégradent, que fait-on ? »

« J’ai continué, je continue toujours. » Avec une satisfaction : après plus de trente ans de recherche, elle s’autorise désormais à faire quelques préconisations aux éleveurs, avec toute l’objectivité des données scientifiques acquises : « Si vous coupez la prairie au ras du sol, les méristèmes[14] vont « cuire », alors que laisser une végétation tampon permet de maintenir un microclimat protecteur, illustre Catherine Picon-Cochard. J’ai aussi un peu plus de billes désormais pour dire que telle ou telle espèce prairiale est plus sensible qu’une autre... »

« Nous prônons aussi l’élevage à l’herbe, il n’y a rien de plus sain et c’est économique. Bien sûr, il reste toujours de grands élevages industriels, mais plein d’éleveurs en France jouent le jeu, replantent des haies, nourrissent les animaux à l’herbe… »

Transmettre, communiquer ses recherches, Catherine Picon-Cochard y prend plaisir, pour ses étudiants, le grand public, le monde agricole et industriel... Elle y voit une nécessité à l’heure de la transition écologique. Sortir le savoir des laboratoires, oui mais sans conflit : « Je n’aime pas quand ça devient polémique. »

Sport d’équipe

Reste que c’est désormais la direction d’unité qui occupe depuis 2018 le plus clair de son temps. Une mission bien différente de celle de chercheur·e. « On apprend à faire des concessions qu’on ne faisait pas avant, à ménager la chèvre et le chou, car qui dit prise de décision dit conséquences. »

« Elle fait face à des défis complexes mais aborde toujours la situation avec beaucoup de calme », salue Laurence Benedit. Aider ses collaborateurs est un des aspects de la fonction qu’elle apprécie tout particulièrement. « Du jour au lendemain, on rend service aux gens, tout le temps : régler tel problème, trouver des solutions, des financements… »

Le sens du collectif, elle assure l’avoir développé avec le basket : « Les matchs où je ne mettais pas beaucoup de paniers, je me concentrais sur la défense et du coup, ça servait à l’équipe. On contribue tous à l’équipe même si on n’est pas toujours à 100% de nos moyens. En faisant du basket, j’ai cultivé ça sans trop le savoir. » Peut-être aussi un certain talent pour anticiper le coup d’après.

 

[1] INRAE/VetAgroSup, https://urep.clermont.hub.inrae.fr/
[2] Discipline qui étudie les réponses comportementales et physiologiques des organismes vivants à leur environnement.
[3] Enceinte de culture permettant la visualisation de la croissance racinaire grâce à ses parois transparentes.
[4] Production d’électricité photovoltaïque en association avec une activité agricole.
[5] Ancien diplôme de niveau bac+2 avant la réforme LMD (Licence-maîtrise-doctorat).
[6] Institut national de la recherche agronomique, aujourd’hui INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement)
[7] Ancien diplôme équivalent bac+5 avant la réforme LMD (Licence-maîtrise-doctorat)
[8] Aujourd’hui vice-président en charge de la politique internationale de l’INRAE, contributeur de longue date du Giec, nommé depuis mi-2024 Président de la deuxième mandature du Haut conseil pour le climat (2024-2029)
[9] Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive, CNRS
[10] Caractéristiques morphologiques et ou physiologiques des racines des plantes.
[11] Gestionnaire des ressources humaines au sein de l’unité
[12] Dispositif expérimental permettant le conditionnement climatique d’écosystèmes de différentes tailles et la mesure des flux de matière et d’énergie liés à différents processus écophysiologiques, https://www.ecotron.cnrs.fr
[13] Un écotype est une forme géographique ou une population d'une espèce végétale qui présente des caractéristiques morphologiques, physiologiques ou comportementales spécifiques en réponse à des conditions environnementales particulières de son habitat.
[14] Zone de division cellulaire à l’origine d’organes ou de tissus végétaux.