Caroline Lantero - Droit d’excellence
Maitre de conférences HDR en droit public à l’Université Clermont-Auvergne, Caroline Lantero est une enseignante-chercheuse, une « vraie », de celles qui ne sauraient choisir entre enseignement et recherche. Et une référence en droit de la santé et des patient·e·s.
Maitre de conférences HDR[1] en droit public à l’Université Clermont-Auvergne, Caroline Lantero est une enseignante-chercheuse, une « vraie », de celles qui ne sauraient choisir entre enseignement et recherche. Et une référence en droit de la santé et des patient·e·s.
Caroline Lantero, c’est d’abord une présence, forte, énergique. Elle est là, pleinement là avec son interlocutrice, dans l’échange, à l’écoute. Pourtant elle a fort à faire. Ce jour-là, mardi 26 mai, l’enseignante-chercheuse est sollicitée par les journalistes : les député·e·s présent·e·s à l'Assemblée nationale s’apprêtent à voter deux propositions de loi sur les soins palliatifs et le droit à l'aide à mourir. Elle qui a travaillé sur les décisions de fin de vie, que pense-t-elle du « délit d’entrave »[2] ? Elle leur répondra, mais pas tout de suite. Pour l’heure, le sujet c’est elle. Elle et son amour du droit et de l’excellence intellectuelle.
Quelques instants passés à ses côtés nous font penser qu’elle n’est pas du genre à faire les choses à moitié. Elle le confie avec humour : « Je pense vraiment que je suis une juriste, je ne sais rien faire d’autre. Si demain, on a une apocalypse, dans un monde post-apocalyptique je tiens cinq minutes vivante ! »
Cet amour du droit, on le devine dévorant : en dehors de son métier, Caroline Lantero, également avocate, n’a pas vraiment de loisirs et ne s’en plaint pas. Ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est se plonger intensément dans ses recherches : « C'est absolument mon moment professionnel préféré, me poser, faire de la recherche toute seule, écrire toute seule, trouver ma documentation toute seule, être toute seule pendant des heures… C’est une joie ! »
Exigence d’excellence
« Caroline, c’est l’excellence intellectuelle. Elle a une éthique et une exigence pour elle-même qui est remarquable, une exigence de crédibilité qui passe par énormément de travail, pour être légitime. Je crois qu’elle commence tout juste à avoir des week-ends ! », observe Nelly Bonniol, son amie d’enfance et partenaire de nage – car Caroline Lantero, apprend-on, a un passé de nageuse de haut niveau.
L’enseignante-chercheuse est de fait très productive et publie beaucoup. Elle vient – entre autres – de terminer une étude sur la faute disciplinaire du professionnel·le de santé : « J'ai fait une extraction Excel – ça m'a pris un temps fou mais j'adore – de toutes les jurisprudences depuis quatre ans de la Chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, pour avoir des éléments statistiques : Quelle faute est invoquée le plus souvent ? Quelle est la sanction la plus sévère ? Quelle adéquation entre le manquement reproché et la sévérité de la sanction ? »
Dans cet article, la juriste démonte un certain nombre de mythes perçus par les professionnel·le·s de santé, « qui pensent qu’il n'y a que la confraternité qui compte, ce n’est pas vrai ». Elle y dénonce également un fonctionnement « un peu défaillant » des ordres professionnels.
« Caroline a besoin de challenger le statu quo, les choses établies, relève Nelly Bonniol. Pourquoi c’est établi et est-ce que ça doit toujours l’être ? Est-ce qu’on peut se reposer la question, en refaire le tour ? Elle ne prend pas les choses pour acquis, elle va toujours les rechercher, les challenger, retravailler la dimension intellectuelle qui va autour, pour voir si ces choses établies ont toujours lieu de l’être ou si elles peuvent être mises à jour ».
Dans le « cambouis »
On s’imagine la recherche en droit très solitaire. Au Centre Michel de l’Hospital[3], elle est plutôt « solidaire » : « On est une fine équipe de chercheurs en droit public. On organise des réunions entre publicistes[4], parfois simplement pour échanger sur nos sujets, partager une difficulté... Les doctorants sont invités, il n’y a pas de hiérarchie, la parole est égale. Je ne crois pas avoir rencontré cela ailleurs, dans aucune autre fac de droit. Ce sont des dynamiques qui se transmettent. »
La juriste ne se voit pas comme une théoricienne du droit, sa recherche est plus appliquée. « Je n'irai jamais lire un auteur avant d'aller lire la loi. Et je n’essaierai pas de comprendre une loi sans avoir lu les travaux parlementaires... » Elle fouille, enquête et n’hésite pas, comme elle le dit, à plonger dans « le cambouis », à aller voir ce qui se passe « en vrai » dans les juridictions dont on ne parle jamais, pour faire émerger des « fulgurances analytiques » : « Je pense que dans ma recherche, je suis capable de sortir des éléments qui n'avaient pas été vus, de là où je les regarde. »
« Sur le droit de la santé, le droit des patients, Caroline est une référence. Nous ne sommes pas très nombreux à écrire sur le sujet parmi les publicistes. Elle fait partie des auteurs dont les propos portent et dont l’analyse est suivie, exprime Diane Roman, sa collègue et amie professeure de droit public à l'École de droit de la Sorbonne. C’est une des rares qui associe une approche très technique, très contentieuse, à une réflexion sur les droits des patients. C’est l’articulation des deux qui lui permet de monter en généralité dans ses analyses et de mettre en exergue des grands principes. »
Prompte à répondre aux sollicitations de ses collègues et mue par une énergie peu commune, Caroline Lantero n’hésite pas à faire des pas de côté, en explorant à l’occasion d’autres domaines du droit public : elle vient d’écrire un article sur le contentieux universitaire pour un ouvrage collectif. « Parcours sup, les contestations, le régime des examens, des bourses… Ça se passe dans les tribunaux administratifs, ceux dont on n’entend jamais parler. Je suis allée chercher les chiffres. »
« Elle a un dynamisme incroyable, une énergie qui lui fait porter à bout de bras plein de projets », admire Diane Roman, qui a écrit avec elle un article sur les violences obstétricales[5].
Show-woman
Le sourire n’est jamais loin, l’humour non plus. « Caroline a une répartie qui s’accommode très bien des formats courts comme les tweets, remarque Diane Roman. Dans la sphère académique, elle est connue pour ses écrits longs et savants et sur les réseaux sociaux, pour ses messages corrosifs et percutants ! »
On imagine volontiers Caroline Lantero « faire le show » à l’École de droit, devant un parterre d’étudiant·e·s conquis. Enfant, elle voulait faire du théâtre. Mais ses parents n’étaient pas d’accord. Et à l’école, quand venait le moment de répondre à la sempiternelle question « Quel métier voulez-vous faire plus tard ? » et qu’elle répondait spontanément « comédienne », les professeur·e·s s’agaçaient : « Corrigez, un vrai métier ! » « Alors je me suis dit : ‘‘ Quel est le métier qui peut se rapprocher plus du show ? ’’ J'ai mis ‘‘avocate’’, se souvient-elle. Sauf qu'en réalité, j'ai choisi une voie qui est tellement technicienne et très écrite, que je ne fais pas le show, je ne plaide pas ou très peu ! »
Elle ne plaide pas, mais elle enseigne, inspirée par quelques professeurs dont elle a croisé la route et qui l’ont marquée, lorsqu’elle était étudiante en faculté de droit à Clermont-Ferrand. « J'avais un prof qui était toujours en colère contre le droit, et je trouvais ça génial, cette liberté qu'il avait d'être en colère ! C'est là que j'ai commencé à basculer en me disant, moi aussi j'aimerais bien être prof. Parce que le show, il peut être aussi là. »
Dès les premières années de fac, la jeune femme est « embarquée ». Elle tombe en amour pour le droit, assiste fascinée à chaque cours magistral, embrasse joyeusement l’autonomie que lui procure l’université. Et très vite, dès la fin de la deuxième année, elle choisit le droit public, à rebours de ses camarades qui lui préfèrent le droit privé (aujourd’hui encore la proportion d’étudiant·e·s en droit public vs droit privé est de l’ordre de 20% vs 80%, avec une large majorité de filles). « L’attraction pour le droit pénal est majeure. Parce que c'est médiatique, parce que Dupont-Moretti, les effets de manches, le tribunal, les images de télé, la robe… analyse la juriste. On écoute n'importe quelle émission, on lit n'importe quel journal, les affaires judiciaires, c'est toujours du pénal ! »
Droit dans ses bottes
Ce professeur « en colère », Michel Deyra, donne envie à l’étudiante de s’orienter vers le droit international. « Il mettait une énergie folle à venir nous chercher pour qu'on s'intéresse à sa matière. Surtout, il n’était pas neutre, il prenait position et c’est ce qui rendait son cours intéressant. » Aujourd’hui Caroline Lantero s’en inspire, mais avec quelques précautions : « Ce que je fais et que ne faisaient pas toujours mes anciens profs, c'est systématiquement de dire aux étudiants quand j'aborde un sujet : j'ai une opinion. Essayez-pas de la deviner, je vais vous la dire. Donc voilà mon opinion, maintenant on va parler. Quand j'aborde l’euthanasie par exemple, je ne peux pas faire croire que je suis neutre. Je présente les choses de la façon la plus objective tout en disant : mon opinion, c'est celle-là. »
Conquise par le droit international, la jeune femme soutient sa thèse en 2008, après quelques années passées à Montréal[6]. Son titre – « L’introuvable statut du réfugié » – n’est pas neutre là non plus, elle acceptera d’en changer pour la publication. Le sujet est important, éprouvant. Il nécessite une distance qu’elle peine à trouver – « J'ai commencé ma thèse en lisant les témoignages du génocide rwandais, je n’avais plus aucun humour possible ».
Après quelques années à poursuivre ses recherches sur le droit des réfugié·e·s et le droit d'asile, elle finit par s’en éloigner : « Je ne faisais qu'observer un délitement du droit, une détérioration du contenu de ce droit. Décrire ou critiquer un déclin d'une branche du droit, je n’avais pas envie de faire ça 25 ans de plus, ça plombe le moral. »
Si la juriste continue à enseigner sur les migrations internationales et « garde un œil » sur cette matière – elle encadre actuellement une thèse sur les migrations climatiques et publie encore des articles sur le sujet – elle amorce un virage majeur en 2010, qui se concrétise quatre ans plus tard : « Lors des procédures de recrutement de maître de conférences, une personne a mis le doigt sur une démarche que je n’avais absolument pas conscientisée. Elle m’a demandé : ‘‘ Vous passez du réfugié au patient, est ce que les gens vulnérables vous intéressent ? ’’ C’est vrai qu’il y a un lien sur les gens, ce qui pour les publicistes n'est pas toujours intuitif parce qu'on pense toujours que le droit public c'est du droit administratif, très technique, mais c'est vrai qu'il y a du droit public des gens. Et de confier dans un sourire : « Aujourd’hui, je fais du droit public des gens. »
Sur la brèche
Un droit public qui n’est cependant pas très « grand public », l’enseignante-chercheuse en convient. Et songe à écrire un livre plus accessible que ceux qu’elle a publié jusqu’à présent[7]. Choisir les bons mots, trouver le bon niveau de vulgarisation et d’information est un exercice difficile mais stimulant, qu’elle expérimente chaque fois qu’elle doit répondre à des journalistes : sur la fin de vie, les réfugié·e·s, les mesures de privation de liberté pendant la crise Covid… « Partout où on nous laisse une brèche, « nous » je veux dire les scientifiques, les experts, pour parler d'un sujet sur lequel on est compétent, il faut qu'on l'occupe parce que sinon, elle va être occupée par Jacky qui a une opinion. »
Alors, que dit-elle du « délit d’entrave » ? Une rapide recherche Google et nous découvrons une interview d’elle, diffusée il y a un an déjà sur France culture[8], en plein débat sur la fin de vie : « Ce sont des menaces ou des actes d’intimidation émanant de personnes à qui on demande de l’information, une aide et non pas une opinion […] Si un médecin exerce une pression morale sur [un] patient, le dissuade activement, ne l’oriente pas vers quelqu’un d’autre, voire l’empêche d’accéder à de l’information sur l’aide à mourir, il pourrait être concerné. » Parole d’experte
[1] Habilitation à diriger les recherches [2] « Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir », article 17 de la proposition de loi sur l’aide à mourir. [3] Unité de recherche en sciences juridiques et en science politique depuis 2008. [4] Juriste spécialiste du droit public [5] Lantero C, Roman D (2022) L'obstétrique et le juge administratif, au-delà de l'accident, Revue française de droit administratif [6] Doctorat en droit public de l’Université d’Auvergne et de l’Université de Montréal. [7] Notamment « Déontologie des professions de santé » (2024) Presses Universitaires de France ; « Les droits des patients » (2018) LGDJ [8] « Les députés ont entamé lundi 27 mai 2024 l'examen du texte sur la fin de vie et l'aide à mourir », France Culture, 28 mai 2024 |
Marie-Catherine Mérat
Journaliste scientifique indépendante
Scientifique interrogée :
Caroline LanteroMaitre de conférences HDR en droit public au Centre Michel de l'Hospital (CMH) de l’Université Clermont-Auvergne