Elle a un nom d’exploratrice et fait le tour de la Terre, pour étudier la chimie de l’atmosphère. Avec l’enseignante-chercheuse, y’a de la joie dans l’air.
Elle a un nom d’exploratrice et fait le tour de la Terre, pour étudier la chimie de l’atmosphère. Avec l’enseignante-chercheuse, y’a de la joie dans l’air.
Il faut arriver à la croiser, entre un cours à l’Université et un périple scientifique au Chili, une mission hebdomadaire de surveillance des polluants et une visite guidée de l’observatoire du sommet du puy de Dôme. Mais quand on parvient enfin à l’arrêter dans sa course, Aurélie Colomb est là et bien là, disponible, volontiers bavarde, voire intarissable sur l’objet de ses recherches : la chimie de l’atmosphère. En ce jour de juin, c’est à l’Observatoire de physique du globe de Clermont-Ferrand (OPGC) qu’elle nous a donné rendez-vous, pour une discussion entrainante dans la salle de pause.
Au premier abord (et au second aussi), on la décrirait volontiers hyperactive. « Il est rare qu’elle ait une baisse de forme ou si c’est le cas, c’est inquiétant ! », plaisante Mickael Ribeiro, assistant ingénieur au Laboratoire de météorologie physique (LaMP), qui travaille à ses côtés. Il faut dire que l’année 2023 a débuté sur les chapeaux de roue pour la chercheuse : entre janvier et juin, elle a enchainé les missions au Chili, au Brésil puis à la Réunion. « Ce n’est pas tous les ans comme ça. Là, c’est parce qu’il y a eu beaucoup de projets décalés à cause de la crise Covid », justifie-t-elle, avant de nous décrire ses expéditions scientifiques, par le menu.
Émulsion atmosphérique
Au Chili ? Elle est partie aider à installer des expériences sur un navire de recherche espagnol, le Hesperides. Au départ de Punta Arenas, au sud du pays, l’embarcation avait pour objectif, pendant deux mois, d’explorer l’océan austral, qui joue un rôle essentiel dans la régulation du climat, et la mer de Weddel. « Le but de ce bateau, c’était d’aller sur place échantillonner à la fois l’eau et l’atmosphère, de façon à voir ce que les océans émettent en gaz et en particules fines d’aérosols. » Et de pointer par la fenêtre un gros container échoué au pied du batiment : « C’est celui qui était sur le bateau pendant deux mois, dedans il y a plein de capteurs ! »
Un mois plus tard, elle s’envolait pour le Brésil, dans le cadre d’une coopération franco-brésilienne, le projet ANR BioMaSP+, pour étudier cette fois l’impact des forêts sur la chimie atmosphérique. « On étudie deux types de forêts, l’une urbaine située dans le campus boisé de Sao Paulo et une autre plus éloignée de la ville, décrit Aurélie Colomb. L’idée est de comprendre comment les forêts proches des villes participent à la pollution atmosphérique. » Si ce mécanisme chimique est peu connu du grand public, la scientifique l’explore pourtant depuis des années : les émanations de la forêt (comme l’isoprène ou l’alphapinène) réagissent avec celles des villes dues aux gaz d’échappement, au chauffage… créant de nouvelles molécules comme l’ozone et d’autres composés organiques volatils (COV) aux effets délétères sur la santé.
C’est le cœur de son métier : étudier les interactions entre émissions naturelles (des océans, de la forêt, des volcans…) et les émissions d’origine humaine.
Surveillance aux sommets
Sa troisième mission à l’île de la Réunion était plus habituelle. Aurélie Colomb s’y rend régulièrement : elle y est responsable scientifique de l’observatoire du Maïdo, sommet situé à 2200 m d’altitude. Au total, ce sont trois observatoires dont elle gère à l’année la surveillance des polluants : celui du puy de Dôme, l’un des plus anciens de France – ses données remontent à 1871 –, celui du Maïdo, et depuis 2020 l’observatoire mobile installé à bord du Marion Dufresne, qui explore les Terres australes et antarctiques (Kerguelen, Crozet…) au départ de la Réunion. « Quand je vais au Maïdo, je vérifie les instruments, les données de l’année… et j’en profite pour aller voir le Marion Dufresne quand il est au port. »
L’enseignante-chercheuse se raconte, sans jamais se départir de son sourire hautement communicatif. « Aurélie, c’est la bonne humeur incarnée. Quand elle arrive le matin, on sait qu’elle est là ! Elle a une dimension humaine super agréable, loue Clémence Rose, sa collègue au LaMP. Malheureusement, je ne la vois pas beaucoup, c’est un coup de vent ! »
Heureuses rencontres
D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Aurélie Colomb a toujours aimé la nature et les sciences. C’est à l’occasion d’un forum des métiers, en fin de collège, qu’elle trouve sa vocation : elle y croise un géophysicien. « Je me suis dit que c’était super et que je voulais faire des sciences. »
Suite à la rencontre avec un professeur de mathématiques « extraordinaire », qui motive la quasi-totalité de ses élèves à embrasser des études scientifiques. « Sur 24, je pense que 22 ont fait première, terminale scientifiques et classe prépa ! » Son lycée – Marcelin Berthelot à Saint Maure des Fossés (Val de Marne) – intègre une classe prépa, ce qui facilite les choses. « Pour nous c’était comme si le lycée se passait en cinq ans, on ne s’est pas posé beaucoup de questions. »
Maths sup, maths spé, puis école d’ingénieur à l’Institut national polytechnique de Grenoble, la jeune femme suit un chemin sans embûche. Mais pas sans réflexion. Rhône-Poulenc, TotalEnergies, Schlumberger… les activités des sociétés où ont lieu les stages l’amènent à s’interroger. « Je me suis dit que je ne voulais pas travailler dans toutes ces entreprises qui polluent, se souvient-elle. Heureusement, j’avais un professeur – encore un ! – en dernière année d’école d’ingénieur, qui nous a fait un cours sur la pollution atmosphérique. L’année d’après, je faisais un DEA ou Diplôme d’Études Approfondies de chimie, pollution atmosphérique et physique de l’environnement à Grenoble. »
Femme de terrain
Elle poursuit avec une thèse sur les pollutions des vallées alpines, sous la houlette de la spécialiste des composés organiques volatils Véronique Jacob. « Elle était très forte en manips, au laboratoire, sur le terrain. Elle était – elle est toujours – très minutieuse et m’a beaucoup appris sur la partie expérimentale, prélever des échantillons, les analyser… D’ailleurs c’est aujourd’hui ma spécialité, c’est ce que je fais partout où je vais, je suis expérimentaliste. » Une qualité que lui reconnaissent les technicien·ne·s du laboratoire avec lesquel·le·s elle travaille. « C’est une chercheuse qui connaît la technique et ça c’est super agréable, relève Laetitia Bouvier. Elle a conscience du temps nécessaire à une expérimentation. »
Après un post-doc à l’Institut Max Plank de chimie à Mayence dans l’équipe de Paul Krutzen, co-lauréat du prix Nobel de chimie en 1995 – pour avoir établi le lien entre les émissions de CFC (chlorofluorocarbures) et le trou de la couche d’ozone –, la jeune chercheuse s’offre un break d’un an avec son compagnon, pour traverser l’Amérique du Sud à vélo. Mais pas question de s’éloigner de la recherche. Elle crée pour l’occasion l’association Bicycl’air : « On a traversé les Andes du nord du Chili jusqu’à Ushuaia, en faisant des prélèvements d’air, que j’ai analysés une fois rentrée », se rappelle Aurélie Colomb, un sourire dans la voix. « J’ai montré que plus on s’éloignait des villes moins c’est pollué, cela on pouvait s’en douter… mais surtout que même les grandes villes de Patagonie sont polluées. Alors que dans l’imaginaire des gens, Ushuaia, Punta Arénas, la Terre de feu… c’est pur. En fait ce n’est pas le cas ! ». Cette parenthèse refermée, la scientifique obtient un premier poste de maitre de conférences à Créteil, en région parisienne. Elle y reste trois ans, avant de rejoindre le LaMP à Clermont-Ferrand.
Une passion contagieuse
En l’écoutant, on s’étonne de ne jamais froncer les sourcils. Son discours est limpide, ses explications très imagées sans jamais être simplistes. « J’aurais bien aimé avoir une professeure comme elle, admire Jean-Marc Pichon, ingénieur d’étude à l’OPGC. Elle communique sa passion, ce qui fait que les étudiants deviennent passionnés à leur tour. Plusieurs veulent revenir après avoir fait un stage avec elle. »
En plus de ses recherches et activités d’enseignement, elle intervient très régulièrement dans le cadre de la Fête de la Science, du festival des Nuées Ardentes, des Journées du patrimoine, anime des visites à l’observatoire du puy de Dôme pour les scolaires et le grand public… « Aurélie a une personnalité super entraînante, elle est passionnée par son travail, poursuit son collègue. C’est plus qu’un travail pour elle, c’est une passion et ça se ressent. »
Explorer l’océan de tempête
La chercheuse aime les défis et ils ne manquent pas. Le prochain ? Concevoir un observatoire mobile au sommet du Polar Pod, le projet fou de Jean-Louis Etienne en construction à Brest. Cet extraordinaire vaisseau vertical, « entraîné par le courant circumpolaire tel un satellite autour de l’Antarctique1 », doit permettre d’explorer l’océan austral, acteur majeur du climat et réserve de biodiversité marine, encore méconnu. « Il doit résister aux vents, aux déferlantes… et surtout, il n’a pas de moteur, car il ne doit pas polluer son environnement. C’est comme une bouée, qui va rester dans l’océan austral pendant trois ans, bardé de capteurs. » Aurélie Colomb est la responsable de la mesure de l’ozone et des oxydes d’azote2 (NOx) de Polar Pod. « Ce sera la première fois qu’il y aura en permanence, posées sur ce courant austral, plein de manips, s’enthousiasme-t-elle. Les instruments sont là, au labo, on les teste au sommet du puy de Dôme. On les testera encore toute l’année prochaine, l’hiver en particulier pour observer leur comportement dans des conditions rudes. »
Lorsqu’on lui demande quel objet caractériserait ses recherches, elle répond sans hésiter :
« Mes cartouches (photo) ! Je parcours le monde avec ces petits trucs. Je pompe l’air, c’est le cas de le dire ! » À l’intérieur se trouve un produit chimique, une poudre blanche qui fixe les composés organiques volatils (COV). Aurélie Colomb aimerait bien parvenir aussi à prélever les COV dans l’eau de mer… ce qui suppose une adaptation du protocole expérimental. Son étudiant de M1 Johann est sur le pont. À deux semaines de la fin de son stage, il l’affirme : « Ça marche. » On ne serait pas surpris de le recroiser ici dans deux ans.
1.Tous les détails du projet Polar Pod de Jean-Louis Etienne sont disponibles en ligne : https://jeanlouisetienne.com/expedition/polar-pod .
2. Les oxydes d’azote (NOx) sont la somme des mono- et dioxyde d’azote. Ces gaz irritants sont émis notamment par les émissions des véhicules diesel.