Publié le 30 mai 2023–Mis à jour le 22 octobre 2024
The Conversation - Le 26 septembre 2017, 4 000 employés et sous-traitants de l’entreprise Michelin de Olsztyn en Pologne se confrontaient à une simulation grandeur nature d’explosion et d’incendie majeurs avec tous les services d’intervention de l’agglomération. Ils participaient, sans le savoir, à un « business game », une approche pédagogique en vogue. Ils se sont retrouvés autour d’un jeu pour vérifier si les processus d’analyse et de traitement de tels incidents étaient maîtrisés par les équipes.
Le 26 septembre 2017, 4 000 employés et sous-traitants de l’entreprise Michelin de Olsztyn en Pologne se confrontaient à une simulation grandeur nature d’explosion et d’incendie majeurs avec tous les services d’intervention de l’agglomération. Ils participaient, sans le savoir, à un « business game », une approche pédagogique en vogue. Ils se sont retrouvés autour d’un jeu pour vérifier si les processus d’analyse et de traitement de tels incidents étaient maîtrisés par les équipes.
Depuis plus de 15 ans, « business game » et autres « serious game » sont devenus si tendance que chaque parcours de l’enseignement supérieur cherche désormais à en intégrer au moins un. Le « serious game », permet de tester des compétences spécifiques sur une à trois heures ; le « business game », lui permet de roder des processus sur une à deux journées. Les entreprises aussi les mobilisent de plus en plus pour des cohésions de groupe, voire désormais des apprentissages. Avec parfois des dérives.
Devant un contexte de massification de l’outil, nos travaux de recherche, à paraître dans la revue Recherche en Sciences de Gestion, invitent à réfléchir sur la pertinence de son utilisation par rapport à l’objectif à atteindre. Ils mettent en évidence qu’y avoir recours n’est efficace que si cela intervient à un moment bien précis de l’apprentissage.
Pas besoin d’être réaliste
Le jeu présente des apports majeurs dans l’apprentissage d’une gestion de crise. Autrefois envisagée comme une pratique permettant de noter les écarts entre les prescriptions et les actions, la simulation est aujourd’hui considérée, dans la littérature, comme la source d’apprentissage la plus bénéfique car elle permet de reconstituer au mieux une réalité.
La méthode s’avère très pratique pour permettre à faibles coûts financiers de pouvoir déstabiliser des individus, les placer dans une situation de stress ou de perte de références. L’organisation peut rester d’ailleurs simple avec une feuille de papier, un crayon et quelques dés, ou un logiciel informatique. Ce dernier outil s’avère d’ailleurs particulièrement puissant pour capter l’attention des participants.
Dès que les participants acceptent de se remettre en cause, le jeu aide au développement de compétences et contribue à renforcer la cohésion du groupe autour d’un objectif commun.
Une étude empirique, autour d’un serious game auquel 72 individus se sont prêtés démontre ainsi que la performance et la capacité de restitution des compétences acquises dépend de leur niveau de stress aigu, celui qui apparaît temporairement dans une situation de pertes de repères. Plus il monte, moins le décideur se montre à même de restituer ses capacités.
Un serious game organisé lors des journées de l’IFACI, en novembre 2022.Fourni par l'auteur
Pour les professionnels aguerris aux simulations de crise, les chercheurs suggèrent qu’un scénario peu réaliste est le mieux adapté pour les faire travailler une compétence donnée. Cela explique pourquoi c’est sur un épisode de destruction de la Terre par un astéroïde qu’ont planché 122 professionnels du management des risques, ayant au moins 5 ans d’expertise dans le domaine, au cours des 22e rencontres de l’Association de management des risques et des assurances de l’entreprise.
Dans le scénario, une seule solution était envisageable pour faire survivre l’humanité, envoyer une fusée avec quelques représentants de l’espèce humaine. Une unique fusée était disponible dans le hangar de lancement à Kourou, avec 7 places à son bord et 6 heures pour une mise en place sur le pas de tir. Il fallait remplir les 7 places en choisissant parmi 15 candidats. Des événements anxiogènes jalonnaient la montée en puissance du scénario. La projection des participants dans un univers dans lequel ils n’avaient aucun repère a permis de ne travailler que sur le développement d’une compétence donnée : la mise en place de stratégie de prévention primaire et secondaire face au stress aigu.
Apprendre dans le bon ordre
Toutefois ce ne sont pas ces leviers en tant que tels qui semblent faire la différence au niveau des apprentissages des individus, mais bien la séquence des actions pédagogiques. La réussite de l’utilisation d’un jeu réside dans la qualité de l’apprentissage préalable dispensé auparavant. La connaissance de l’environnement pour des professionnels est également un facteur fondamental dans la qualité du développement des compétences.
C’est ce que nous avons pu observer dans une multinationale industrielle. Nous avons utilisé une technique de cartographie de l’ensemble du processus décisionnel des gestionnaires de crise observés et modélisé trois séries de cartes cognitives, mobilisant différents modes d’apprentissage en présentiel et en distanciel de serious games. Elles ont permis de déterminer la séquence optimale des activités d’apprentissage.
Nos résultats suggèrent que le meilleur levier pédagogique disponible pour une entreprise est constitué d’une simulation de crise en présentiel suivi d’une formation de crise effectuée par un animateur aidé d’un seul diaporama. La séquence en mode totalement « distanciel » est également bénéfique lorsqu’elle est accompagnée d’une formation initiale via des vidéos de type tutoriel et d’une séance de serious game, mais légèrement moins efficace.
La mise en place de simulations particulières mais au sein d’un même scénario favorise, elle, l’apprentissage à l’échelle du groupe, sachant que les conséquences des décisions de chacun pèsent sur l’ensemble du collectif. La chose s’avère, certes, difficile à organiser et animer mais le bénéfice est à la fois pédagogique et organisationnel. Les entités de la même organisation apprennent à travailler ensemble et échafaudent, à l’issue des simulations, des plans d’action collectifs. Cette co-création d’expérience, à plusieurs échelles de l’entreprise, est un très fort levier de montée en maturité en matière d’apprentissage organisationnel en gestion de crise.
Sophie Cros
Professeur des universités en sciences de gestion, spécialiste gestion globale des risques et des crises, Université Le Havre Normandie
Raphael De Vittoris
Professeur associé en Sciences de Gestion, Université Clermont Auvergne (UCA)
The Conversation
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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