Publié le 6 mai 2024 – Mis à jour le 12 juillet 2024
À l’occasion du « Prix Jeunes Chercheurs » organisé par la ville de Clermont-Ferrand le 9 avril dernier, elle a relevé le défi de présenter ses recherches au grand public et a remporté le Grand Prix de la ville de Clermont-Ferrand.
En 1610, le mathématicien et astronome Galilée conclut que la Terre tourne autour du Soleil et non l’inverse. L’Inquisition -tribunal de l’Église- qualifie cette théorie d’« hérésie » et condamne en 1633 le scientifique à l'incarcération (résidence surveillée) jusqu'à sa mort en 1642. Le procès de Galilée soulève ainsi la notion de responsabilité du/de la scientifique dans le droit lié à la découverte en science. Ce sujet, qui est paradoxalement récent d’un point de vue juridique, Agathe Chirossel en a fait l’objet de son travail de recherche. Après un parcours universitaire dans le droit de la santé, la scientifique a réalisé une thèse de cinq années sur « la responsabilité du chercheur du fait de ses recherches ». À l’occasion du « Prix Jeunes Chercheurs » organisé par la ville de Clermont-Ferrand le 9 avril dernier, elle a relevé le défi de présenter ses recherches au grand public et a remporté le Grand Prix de la ville de Clermont-Ferrand.
La découverte de l’héliocentrisme par Galilée faisait déjà appel à la notion de responsabilité du/de la chercheur·e du fait de son travail de recherche scientifique. Pourtant, il semble que cette thématique ne soit pas si bien documentée. Quel état des lieux dressez-vous aujourd’hui concernant cette notion ?
A.C. : En effet, le sujet de la responsabilité du/de la chercheur·e est un sujet ancien mais récent dans le domaine du droit. J’ai constaté que juridiquement, il ne semble pas y avoir de responsabilité d’ensemble du/de la chercheur·e du fait de ses recherches. En revanche, il existe des secteurs de recherche précis dans lesquels il y a de la responsabilité juridique. C’est le cas par exemple dans la médecine avec la responsabilité des chercheur·e·s par rapport à leurs patient·e·s. Il y a aussi des domaines précis du droit dans lesquels il y a une forme de responsabilité comme dans la sphère de la propriété intellectuelle. En revanche, étant conçue initialement pour des œuvres artistiques, elle ne s’applique que peu aux sciences. Ces responsabilités peuvent être dites « négatives » car elles renvoient à des possibilités de sanctions en cas de litiges. Au-delà du droit, en réaction au complotisme ou suite à la crise du COVID, on observe une demande sociétale croissante concernant les enjeux de qualité de la recherche. Et les chercheur·e·s ont une forme de responsabilité -ici positive- en assurant la création de savoir scientifique de qualité. Ce type de responsabilité n’a pas de valeur juridique mais elle est plutôt symbolique aux yeux de la société. D’ailleurs, de plus en plus de laboratoires de recherche font la démarche d’en intégrer dans leurs contrats de recherche.
De la médecine aux sciences de la Terre… Votre parcours indique que le droit vous a permis de vous pencher sur diverses thématiques mais avec toujours comme fil rouge la responsabilité du/de la chercheur·e. Quelles expériences vous ont amenée à ce sujet ?
A.C. : C’est en licence de droit au Brésil que j’ai découvert le « droit de la biomédecine » avec la responsabilité des médecins par rapport à leurs patient·e·s. Passionnée par ce sujet, j’ai poursuivi mon parcours en master de droit de la santé. Ce fut l’occasion pour moi de travailler sur l’accès aux soins somatiques (qui concernent le corps) et psychiatriques des détenues. C’est là que l’idée de poursuivre en recherche est apparue avec deux options : continuer d’étudier ce sujet à travers une thèse ou être juriste en laboratoire de recherche pour protéger à la fois les chercheur·e·s et les patient·e·s. Un appel à candidature est alors sorti pour la thèse sur « la responsabilité du chercheur du fait de ses recherches » à l’Université de Clermont Auvergne (UCA)… Ça correspondait exactement à mes aspirations et je suis heureuse d’avoir été retenue ! Tout cela m’a amené à être aujourd’hui en contrat de post-doctorat au Laboratoire Magma et Volcans (LMV) de l’UCA pour mener un travail de recherche sur les responsabilités du/de la chercheur·e en matière de risques telluriques (évaluation des risques de volcanisme, tremblements de Terre, etc.).
Vous avez présenté vos travaux de thèse au grand public à l’occasion du « Prix Jeunes Chercheurs ». Comment avez-vous vécu cette expérience ?
A.C. : C’était une première pour moi de m’adresser au grand public. Je dois avouer que j’ai eu des difficultés par rapport au temps de présentation (15 minutes) car je suis plutôt habituée aux colloques de droits qui durent entre 20 et 30 minutes ! L’enjeu pour moi était de trouver comment présenter dans ce temps imparti, l’intérêt de la recherche et d’attirer la curiosité des gens sur cet intérêt-là sans perdre la substance scientifique de mes recherches. Et en droit, contrairement aux sciences dures qui ont des éléments imagés à montrer (graphiques, images), il n’est pas courant de communiquer ses recherches via une présentation powerpoint. Mais comme ma thèse était intégrée au Centre International de Recherche « Risques naturels catastrophiques et vulnérabilité socio-économique », j’ai eu diverses occasions de restituer mon travail à une assemblée constituée majoritairement de volcanologues… Et cela m’a aidée à vulgariser cette matière parfois injustement dépréciée qu’est le droit ! Pour le Prix Jeunes Chercheurs, lorsque j’ai réfléchi à comment imager mes propos, le tableau « La leçon d’anatomie du docteur Nicolaes Tulp » de Rembrandt m’est venu en tête. Je me suis dit qu’il pouvait parler à tout le monde. Au départ, le cadavre pouvait imager une responsabilité du/de la médecin par rapport au/à la patient·e, donc la notion de responsabilité sectorielle en droit de la santé. Et puis plus je regardais les personnages, plus je me rendais compte que leurs attitudes pouvaient être le support de la création d’une histoire pour parler plus largement de la « responsabilité du chercheur du fait de ses recherches » …
« La leçon d’anatomie du docteur Nicolaes Tulp » de Rembrandt (1632). Tableau utilisé par Agathe Chirossel pour la présentation de ses recherches sur « responsabilité du chercheur du fait de ses recherches »