Publié le 15 juin 2023 Mis à jour le 4 septembre 2024

Dis-moi ton genre, je te dirai ton métier » : le titre du jeu créé par Éléonore Marbot, spécialiste du management et référente égalité à l’Université Clermont Auvergne (UCA) donne le ton : le métier que nous choisissons à l’âge adulte n’est clairement pas qu’une histoire de goût personnel.

Dis-moi ton genre, je te dirai ton métier » : le titre du jeu créé par Éléonore Marbot, spécialiste du management et référente égalité à l’Université Clermont Auvergne (UCA) donne le ton : le métier que nous choisissons à l’âge adulte n’est clairement pas qu’une histoire de goût personnel. À l’occasion de la journée internationale des femmes et filles de science, la chercheuse a animé ce jeu pour une trentaine de garçons de seconde du territoire auvergnat le 28 février 2023 sur le campus universitaire des Cézeaux. Eléonore Marbot nous en dit un peu plus sur ce jeu.

Pouvez-vous nous présenter ce dispositif ludique que vous avez créé ?  

Son objectif est d’interroger les stéréotypes de genre, ces opinions généralisées ou préjugés sur les caractéristiques que les femmes et les hommes possèdent ou doivent posséder et rôles qu'ils jouent ou doivent jouer dans le parcours scolaire et professionnel. Il est basé sur un plateau de jeu à dix cases tel un jeu de l’oie projeté sur un tableau blanc.  L’idée initiale étant de faire croire aux lycéens que le but est d’avancer jusqu’à la case surprise de fin de jeu… Ce sont les réponses à des questions en ligne sur leur histoire personnelle, via leur téléphone, qui leur permet d’avancer ou non. Ces questions peuvent paraître anodines mais sont en fait très révélatrices. Par exemple, on peut leur demander quelle était la couleur de leur chambre quand ils étaient petits, ou le métier qu’ils voulaient faire en primaire et celui qu’ils voudraient faire aujourd’hui. Les questions s’enchaînent et à chaque fois, je leur annonce qui peut avancer, qui reste sur place et je décrypte les réponses à la lumière de la littérature scientifique sur les stéréotypes de genre. Par exemple, ceux qui ont reçu une poupée avant leurs six ans ou qui se sont occupés de leurs frères et sœurs restent sur place, les autres passent à la case suivante. 

Comment vous est venue l’idée de ce jeu ?  

C’est ce que j’ai observé au cours d’une étude de recherche dans une grande entreprise de la région qui m’a inspirée : je me suis aperçue que les stéréotypes qui règnent en entreprise se construisent dès la naissance par transmission/socialisation. Et au départ ce jeu, je l’ai inventé pour mes filles avant l’été 2023. J’avais compilé toute une bibliographie d’appui au décryptage des réponses car je ne parle pas à mes enfants sans sources scientifiques ! Et lorsque j’ai vu que des ateliers sur les stéréotypes de genre étaient attendus pour la Journée Internationale des Femmes et Filles de Science de l’UCA, je me suis dit que c’était le moment de le mettre en œuvre. J’ai même testé le jeu sur les amis de mes enfants avant de le proposer aux lycéens le jour J.  

Vous n’étiez pas venue seule pour l’animer … 

Non, en effet, il me semblait important de me faire accompagner par un homme, Guillaume Algret, qui est également réfèrent égalité à l'I.A..E School of Management. Ce qui est génial c’est qu’il s’est présenté comme le seul secrétaire homme parmi les femmes de l’école. Ce qui fait qu’il a eu pas mal d’anecdotes à raconter. Par exemple, il a expliqué aux lycéens qu’il était agacé lorsque l’on englobait ses collègues et lui en disant « bonjour à toutes », en ne mentionnant pas le masculin. Cela a permis de faire réfléchir les lycéens sur la parole et l’écriture inclusive.  

Quelles ont été les réactions des lycéens à cet atelier ?  

J’ai cru que ce qui les motiverait c’était d’avancer sur le plateau de jeu mais en réalité c’était plutôt de répondre aux questions, de voir les réponses du groupe et comment nous les décryptions avec des chiffres et des exemples. Si certains assuraient qu’il y avait bel et bien des compétences exclusivement masculines et qu’eux-mêmes n’avaient pas été influencés par les stéréotypes de genre, la plupart d’entre eux se sont prêtés au jeu. Par exemple, le sujet des jouets reçus pendant l’enfance a fait réagir. Ils savaient tous qu’il y avait des jouets sexués mais au départ, à travers leur réponse, nous avons senti que cela ne semblait pas s’être appliqué à eux. Par exemple, à la question concernant le métier que les garçons voulaient exercer aujourd’hui, l’un d’entre eux a répondu : je veux être gendarme, c’est quand même mes goûts, non ? Nous leur avons demandé si leurs petites sœurs avaient elles aussi envie d’être gendarmes et si elles aussi avaient reçu un pistolet-jouet/un képi en cadeau…De plus, nous leur avons montré le lien entre les jeux de construction auxquels ils jouaient étant petits et leur envie actuelle d’être architecte, ingénieur ou mathématicien. Ils étaient assez surpris et émerveillés de cette découverte. Les garçons se sont aperçus au fur et à mesure du jeu que ceux qui parcouraient le plus de cases étaient ceux qui étaient les plus conditionnés et ils se sont questionnés : « qu’est ce qui vient des autres ? », « qu’est ce qui vient de moi ? ». L’un d’entre eux m’a d’ailleurs demandé :  ça veut dire qu’il faudra que l’on déconstruise tout ce que l’on a appris ? . Je lui ai dit qu’il fallait surtout y voir une occasion de se questionner pour se réapproprier les messages acquis tout au long de leur vie. Les garçons étaient sans mot car ils ont entraperçu ce qu’était l’ être-soi, au-delà du conditionnement parental, professoral et institutionnel…