Reproduire le comportement des molécules sur ordinateur n’est pas seulement un rêve de scientifiques mais pourrait servir à améliorer l’efficacité des traitements médicaux dans un avenir proche - par Patrice Malfreyt
Reproduire le comportement des molécules sur ordinateur n’est pas seulement un rêve de scientifiques mais pourrait servir à améliorer l’efficacité des traitements médicaux dans un avenir proche.
En France, en 2022, 4.3 millions de personnes sont identifiées diabétiques par l’Assurance Maladie. La forte croissance de cette maladie fait qu’elle est même qualifiée d’épidémie au niveau mondial par l’Organisation Mondiale de la Santé. Le diabète de type 1, qui touche environ 10% des diabétiques, est dû à une sécrétion déficiente d’insuline (une protéine) conduisant à une dérégulation de la glycémie. Dans certaines circonstances, il se peut que la pathologie décompense ou soit déséquilibrée, ce qui peut entraîner une hospitalisation. Dans ce cas, la prise en charge peut se faire par perfusion intraveineuse d’insuline, ce qui permet de réguler la glycémie en fonction de ses besoins.
Il est connu depuis longtemps des équipes soignantes que ces perfusions peuvent être impactées par le matériau de la tubulure, tube flexible qui permet d’acheminer le médicament au patient (voir schéma ci-dessous), compliquant ainsi le travail des médecins. Une équipe du CHU de Clermont-Ferrand et de l’Institut de Chimie de Clermont-Ferrand cherche à comprendre pourquoi la dose d’insuline qui arrive dans les veines du patient ne correspond pas entièrement à la dose prescrite par le médecin et préparée par l’infirmière. La raison est simple : une partie de l’insuline est perdue car elle se trouve capturée dans la tubulure, ce qui signifie que les molécules d’insuline se fixent sur la surface de la tubulure au lieu de partir dans le corps humain. Les conséquences impliquent un suivi médical et biologique plus poussé afin de limiter tout risque pour les patients.
Figure 1 - Voilà ce que l’on verrait sur la paroi de la tubulure si on avait un microscope assez puissant.
L’ordinateur au service des molécules
Une collaboration scientifique au sein de l’Institut de Chimie s’est développée pour simuler sur ordinateur ce qui se passe sur les tubulures de perfusion. L’idée est de modéliser le comportement des molécules d’insuline sur des ordinateurs très puissants et de voir si ces molécules vont, par exemple, préférer rester sur les parois de la tubulure. Il sera possible de calculer l’interaction entre l’insuline et la tubulure, qu’on appelle énergie d’adsorption, et de comprendre alors l’origine de l’adsorption de l’insuline.
De nombreuses simulations ont été effectuées avec différentes matériaux constituant les tubulures de perfusion (polyéthylène, PVC,..) et différents médicaments (paracétamol, diazepam, insuline,…) et elles ont toutes montré qu’il existait une relation entre l’énergie d’adsorption et la perte de médicaments mesurée expérimentalement au laboratoire. Cette relation est fondamentale pour comprendre ce qui se passe à l’échelle des molécules. C’est grâce à ce voyage au cœur de la matière que nous pouvons comprendre ce qui arrive sur les dispositifs de perfusion.
Les molécules n’ont plus de secret
La simulation moléculaire est en quelque sorte un microscope virtuel qui permet de voir les molécules sur un écran et de les suivre au cours du temps. Rien n’empêche alors le scientifique d’inventer de nouveaux matériaux sur ordinateur et de les simuler avec des médicaments pour vérifier si de potentielles pertes de médicaments par adsorption sont atténuées. Tel est le futur de ces méthodes de simulation qui laissent entrevoir de réels progrès dans beaucoup de domaines des matériaux et de la santé. Afin de modéliser des systèmes mettant en jeu un nombre gigantesque de molécules, ces simulations sont réalisées sur des centaines voire des milliers ou millions d’ordinateurs qui fonctionnent en parallèle. Place désormais à l’imagination des scientifiques aidés par des ordinateurs de plus en plus performants.
Vulgarisation de l’article
Insulin adsorption onto PE and PVC tubings, N. TOKHADZE, M. SAHNOUNE, J. DEVEMY, A. DEQUIDT, F. GOUJON, P. CHENNELL, V. SAUTOU, P. MALFREYT, ACS Appl. Bio Mater., 2022, 5, 2567-2575.