Publié le 8 février 2023 Mis à jour le 22 octobre 2024

The Conversation - Au Proche-Orient, l’année 2023 débute dans la violence et fait craindre une escalade. Le 26 janvier, neuf Palestiniens meurent dans le camp de Jénine suite à un raid de l’armée israélienne présenté par Tsahal comme une opération visant à « briser l’insurrection naissante ». Le 27 janvier, le Hamas riposte avec des tirs de roquettes, auxquels l’armée israélienne réplique le jour même avec des frappes sur Gaza qui tuent au moins dix Palestiniens.

Au Proche-Orient, l’année 2023 débute dans la violence et fait craindre une escalade. Le 26 janvier, neuf Palestiniens meurent dans le camp de Jénine suite à un raid de l’armée israélienne présenté par Tsahal comme une opération visant à « briser l’insurrection naissante ». Le 27 janvier, le Hamas riposte avec des tirs de roquettes, auxquels l’armée israélienne réplique le jour même avec des frappes sur Gaza qui tuent au moins dix Palestiniens.

Plus tard dans la même journée, un Palestinien de 21 ans ouvre le feu près d’une synagogue à Jérusalem-Est. Il tue sept civils avant d’être abattu. Le lendemain, deux Israéliens sont blessés par un Palestinien de 13 ans dans une nouvelle fusillade à Jérusalem-Est.

Dans cette énième escalade de violence, un fait attire particulièrement l’attention : l’âge des assaillants palestiniens. À 21 ans et 13 ans, comment ont-ils pu en arriver là ? En Palestine, la nouvelle génération est encore plus désespérée que les précédentes. La jeunesse n’a plus d’espoir auquel se raccrocher : elle ne croit ni à une solution politique, ni à une quelconque façon d’obtenir une paix durable, ni à un soutien réel sur la scène internationale. Cette absence de perspectives est une explication majeure au fait que certains vont jusqu’à prendre les armes.

Absence d’espoir politique

Jadis, Yasser Arafat incarnait l’espoir aux yeux des Palestiniens. Ils admiraient leur leader et lui faisaient confiance pour trouver une solution politique au conflit avec Israël. Cette période est depuis longtemps révolue et la jeunesse palestinienne n’a plus aucun espoir politique.

En Palestine, les dernières élections datent de 2006. Le Hamas (parti islamiste qui prône la résistance armée) avait remporté les élections contre le Fatah (parti nationaliste laïque présidé par Mahmoud Abbas). Les élections s’étaient déroulées de manière démocratique et Abbas avait reconnu le leader du Hamas comme premier ministre.

Pourtant, les Américains et les Européens ont finalement refusé de reconnaître un gouvernement conduit par une entité considérée comme terroriste) et menacé de couper les aides. Depuis, la Palestine est paralysée et divisée politiquement. L’Autorité palestinienne administre, tant bien que mal, la Cisjordanie ; et le Hamas gère Gaza, une « prison à ciel ouvert ». Il arrive aux deux camps de violemment s’affronter entre eux.


Dans cette impasse politique, les jeunes Palestiniens entre 18 et 35 ans n’ont jamais voté. À leurs yeux, la classe politique est illégitime, l’Autorité palestinienne est une coquille vide, et il n’y a pas de solution politique en perspective. Mahmoud Abbas, qui à 87 ans préside l’AP depuis 17 ans, est perçu comme un leader autoritaire qui s’accroche au pouvoir et accusé d’immobilisme. Pour les jeunes, il est celui qui n’a rien fait pour mettre fin à la colonisation, aux privations de liberté, aux violations des droits de l’homme, et aux humiliations qu’ils subissent depuis leur naissance.

La nouvelle génération s’est aussi lassée des partis politiques. Les jeunes ne font plus confiance au Fatah, fondé par Arafat, pour faire changer les choses. Pendant un temps, cela a donné un avantage au Hamas qui se présentait comme la véritable résistance face à Israël. Aujourd’hui, la nouvelle génération scande « ni Fatah, ni Hamas ».

La dernière lueur d’espoir politique s’est éteinte lorsque Mahmoud Abbas a annoncé l’annulation des législatives prévues le 22 mai 2021.

Absence d’espoir de négociations et de paix

En 1993, la signature des accords d’Oslo incarnait l’espoir d’une paix israélo-palestinienne. Aujourd’hui, les moins de 30 ans sont nés après la signature des accords, et les perspectives de paix se sont éloignées.


Dans l’ère post-Oslo, rien n’a encouragé la jeunesse palestinienne à croire aux négociations. Les accords prévoyaient une période transitoire de cinq ans qui devait permettre de résoudre les questions clés comme la colonisation, les frontières ou les réfugiés. Cette période de transition n’a jamais été dépassée et le statu quo, défavorable aux Palestiniens, a été entériné de fait. Bill Clinton en 2000, puis Barack Obama en 2014, ont essayé de faciliter des négociations, sans succès.

Depuis, les pourparlers sont à l’arrêt, et des vagues de violences ressurgissent régulièrement (2015, 2017, 2021, etc.). Ces derniers jours, Abbas a même annoncé la fin de la coopération sécuritaire avec Israël, qui tenait pourtant depuis Oslo.

Du côté israélien, depuis 1996, Benyamin Nétanyahou, qui vient d’être réélu premier ministre, et son parti, le Likoud, n’ont cessé de se renforcer, contribuant à enterrer l’espoir d’une solution par le biais de négociations. L’élection de Nétanyahou en 1996 a mis un coup d’arrêt aux progrès d’Oslo. C’est lui qui a suspendu les pourparlers en 2014, et certains, comme son opposant Yaïr Lapid, estiment qu’il « n’a aucune intention de négocier avec les Palestiniens ».

Dans les faits, Nétanyahou, n’a effectivement pas mené une politique d’apaisement propice aux négociations, bien au contraire. D’une part, il se positionne en garant de la sécurité de l’État hébreu et renforce le dispositif sécuritaire israélien, ce qui implique de continuer à insister sur la « dangerosité » des Palestiniens, une rhétorique qui ne permet pas d’envisager des négociations.

D’autre part, il soutient activement la colonisation.Dans les années 1990, moins de 100 000 colons vivaient en Cisjordanie ; aujourd’hui, ils sont plus de 600 000. Or, plus il y aura de colons en Cisjordanie, plus une solution à deux États sera difficile à mettre en œuvre.

Dans ces conditions, l’espoir de négociations est mince. Ce qui ne risque pas de s’arranger avec le nouveau gouvernement « d’ultra-droite » nommé en décembre 2022 par Nétanyahou. Un gouvernement qui soutient vivement la colonisation, qui a assoupli les critères pour le port d’armes pour les civils israéliens et qui a lancé une opération, « Briser la vague », censée « mater l’insurrection naissante » dans les territoires palestiniens.

Absence d’espoir de soutien international

Fut un temps, le conflit israélo-palestinien était un dossier que les leaders des grandes puissances rêvaient de résoudre et la cause palestinienne était soutenue, surtout par le monde arabe. Progressivement, c’est devenu un poids pour ceux qui s’y frottent, notamment pour ceux qui ont intérêt à s’entendre avec Israël stratégiquement ou économiquement. Alors, le dossier a été mis au placard et aujourd’hui la jeunesse palestinienne n’a plus l’espoir qu’une solution vienne de la communauté internationale.

Pendant longtemps, la cause palestinienne a uni le monde arabe. On parlait même de conflit israélo-arabe. Cependant, ce soutien s’est progressivement délité. Un délitement qui s’est cristallisé en 2020 par la « normalisation » des relations entre Israël et plusieurs pays arabes (Émirats arabes unis, Bahreïn, Maroc et Soudan).

Le peuple palestinien se sent abandonné. Il ne lui reste plus que quelques alliés, dont la Syrie ou l’Iran, qui sont presque des « amis empoisonnés ».

Les États-Unis sont des alliés privilégiés d’Israël. Toutefois, ils ont régulièrement tenté de jouer un rôle de médiateur afin de résoudre le conflit. Une posture à laquelle Donald Trump a mis un coup d’arrêt. Après le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem en 2020, il a présenté ce qu’il a appelé le « plan du siècle », un projet qui a été conçu sans les Palestiniens et qui ne tenait pas compte de leurs revendications.

Du désespoir à la mobilisation et la violence

Bilan : pas d’espoir politique, pas d’espoir de paix et pas d’espoir de soutien international. En parallèle : 3 572 Palestiniens ont été tués de 2011 à 2021 ; un mur de séparation de 712 km se construit en Cisjordanie ; 2 millions de Palestiniens vivent dans l’insécurité alimentaire et Israël contrôle 85 % des ressources palestiniennes en eau ; les checkpoints qui limitent la liberté de mouvement des Palestiniens se démultiplient ; 61 % du territoire de la Cisjordanie est interdit aux Palestiniens ; entre 2020 et 2021 967 structures palestiniennes ont été démolies… et cet état des lieux n’est pas exhaustif.

Dans ces conditions, que peut-on attendre de la nouvelle génération palestinienne ? La jeunesse n’a plus vraiment d’autre choix que de se mobiliser par ses propres moyens, quels qu’ils soient.

Certains ont essayé de se mobiliser politiquement. En 2020, lorsque des élections législatives ont été annoncées, plusieurs listes de jeunes se sont formées ; dont les listes « On en a assez » et « La génération du changement démocratique ». Cependant, leurs espoirs se sont écroulés avec l’annonce de l’annulation du scrutin.

Ce qui est plus inquiétant c’est que faute de perspective, de plus en plus de jeunes renouent avec la lutte armée. Ils considèrent qu’ils n’ont plus rien à perdre et qu’il ne leur reste plus que les armes.

Les attaques commises ces derniers jours par des jeunes de 21 et 13 ans illustrent ce phénomène naissant. Naissant parce qu’il se pourrait que ce ne soit que la partie visible de l’iceberg. Des groupes armés comme les Lions de Naplouse, la Brigade de Balata ou la Brigade de Jénine émergent dans les territoires palestiniens. Ces milices, contrairement à des groupes comme les martyrs d’Al-Aqsa (faction armée du Fatah), disent ne plus répondre à des décisions politiques ; et elles attirent toujours plus de jeunes qui ne parviennent pas à envisager d’autres solutions.

Le chef de la Brigade de Jénine a déclaré : « Nous refusons cette vie qui n’est faite que d’humiliations. » Le ton est donné. Soit des perspectives de solutions parviennent à donner espoir aux jeunes Palestiniens désabusés, soit ils risquent, en masse, de prendre les armes, qu’ils voient comme leur dernier recours.The Conversation

Marie Durrieu, Doctorante associée à l'Institut de Recherche Stratégique de l'École Militaire en science politique et relations internationales (CMH EA 4232-UCA), Université Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.