Publié le 26 juin 2024–Mis à jour le 21 octobre 2024
The Conversation - C’est sur la droite traditionnelle, regroupée essentiellement du parti « Les Républicains », que l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale a eu l’effet le plus déstabilisant.
C’est sur la droite traditionnelle, regroupée essentiellement du parti « Les Républicains », que l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale a eu l’effet le plus déstabilisant.
La campagne législative de juin 2024 révèle brutalement le dilemme stratégique auquel cette droite est confrontée, dans un contexte qui, depuis 12 ans, lui est très défavorable : échec électoral aux présidentielles et législatives de 2012 ; montée régulière du Front national qui, dès 2017, lui ravit la place de principale force à droite lors des différents scrutins nationaux ; construction par Emmanuel Macron d’une offre politique qui, visant initialement à dépasser le clivage gauche-droite, s’inscrit de plus en plus nettement au centre-droit de la vie politique.
La droite traditionnelle est aujourd’hui tiraillée entre trois grandes options stratégiques : le maintien d’une autonomie, souhaitée par les principaux dirigeants du parti qui y voient la condition d’un éventuel succès lors de prochaines élections européennes ; l’alliance avec le centre-droit macroniste, que défendent les cadres ralliés par vagues successives au président élu en 2017 ; l’intégration à une « union des droites » dominée par le Rassemblement national – un tabou que vient de lever le président du parti lui-même, Eric Ciotti.
Une guerre des droites qui remonte aux années 1890
Au cours de cette campagne électorale, la droite dite « républicaine » se trouve ainsi confrontée à cette « guerre des droites », entre libéraux et nationaux, qui dure depuis la fin du XIXe siècle.
C’est en effet au moment de l’affaire Dreyfus, au milieu des années 1890, que se cristallise l’opposition entre ces droites. Il existe, d’une part, une droite libérale, parlementaire, républicaine, recrutant ses cadres et ses dirigeants au sein des élites sociales, notamment les avocats et les milieux d’affaires. Cette droite est ouverte au dialogue avec les républicains de centre gauche, représentés par des personnalités telles qu’Aristide Briand et Georges Clemenceau. En face croît une droite nationaliste, antiparlementaire qui désire plutôt une république autoritaire, avec un rôle central donné au chef de l’État, désireuse de capter une partie de l’électorat populaire et ne connaissant pas d’ennemi à droite.
La droite libérale a pour chefs Waldeck-Rousseau, Raymond Poincaré et, après la Grande Guerre, Paul Reynaud : elle est associée, aux côtés des radicaux, à la majeure partie des gouvernements de la IIIe République.
La droite nationale est incarnée par Maurice Barrès puis, dans l’entre-deux-guerres, par un certain nombre de ligues et organisations politiques qui réclament l’union des droites face à une gauche suspectée d’être irrésistiblement attirée par le marxisme et le communisme.
La Seconde Guerre mondiale représente, à bien des égards, une revanche pour cette droite, longtemps marginalisée et qui semble triompher avec la « Révolution nationale » portée par le maréchal Pétain. La fin de la Seconde Guerre mondiale ouvre une pause dans cette « guerre des droites », dans la mesure où la droite nationale et autoritaire est, sous sa forme la plus extrême, discréditée pour une quarantaine d’années en raison de sa compromission avec la politique collaborationniste de l’État français.
Un nouveau clivage
Dans les années 1960 et 1970, les tensions croissantes entre le gaullisme, qui reprend en partie l’héritage de la droite nationale en le conciliant avec les principes de la démocratie républicaine, et la droite modérée soulignent la permanence de ce clivage qui explique en partie l’échec de Valéry Giscard d’Estaing à la présidentielle de 1981.
Au fil du temps, les deux forces politiques qui se partagent alors la droite, le RPR et l’UDF, ne sont séparées que par des nuances : elles se rattachent toutes deux clairement, au début des années 1980, à la tradition de la droite modérée, libérale et européenne. C’est cette convergence progressive autour de cette ligne idéologique qui permet, en 2002, la création de l’UMP.
L’irruption brutale du Front national sur la scène électorale, à l’occasion des élections européennes de 1984, et sa progression continue tout au long des années 1980 et 1990 ont remis en cause le monopole qu’entendaient exercer les libéraux sur la droite et pose à ces derniers de vraies hésitations stratégiques, qui perdurent jusqu’à la fin des années 1990.
Une partie des élus et des militants du RPR comme de l’UDF (principalement au sein du Parti républicain) sont alors favorables à une « union des droites ». Ce regroupement de la droite libérale et de la droite nationale est promu par une nébuleuse d’intellectuels, de cadres et de journalistes qui se retrouvent notamment au sein du Club de l’Horloge, un think tank alors animé alors par Jean-Yves Le Gallou – un haut fonctionnaire qui passera, au cours des années 1980, du PR au FN –, et qui s’exprime dans les colonnes du Figaro Magazine, alors dirigé par Louis Pauwels.
Cette alliance s’explique par le contexte de forte bipolarisation politique entre la droite et la gauche et la volonté, largement partagée au sein de la droite, de combattre une gauche gouvernementale suspectée de complaisance à l’égard du communisme et de l’URSS et de laxisme sur les questions de sécurité et d’immigration.
Des élus de la droite modérée contractent des alliances locales avec le FN, comme lors des municipales de Dreux en 1983 ou à l’occasion des cantonales de 1985. Entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1988, Charles Pasqua, tenant d’une droite populaire et sociale auprès de Jacques Chirac dont il est alors ministre de l’Intérieur, affirme partager « les mêmes valeurs » que le FN.
Et, à l’issue des élections régionales de 1998, cinq notables de la droite modérée, appartenant à l’UDF, sont élus présidents de région avec l’apport des voix de conseillers régionaux FN. La réprobation dont ils font l’objet jusque dans leur propre camp révèle toutefois la marginalisation progressive des tenants de l’union des droites.
Une distanciation progressive
En effet, au fur et à mesure que le FN s’installe dans le jeu politique, les principaux dirigeants de la droite libérale récusent toute alliance avec ce parti, pour plusieurs raisons. D’abord parce que son dirigeant, Jean-Marie Le Pen, s’ingénie à se rendre infréquentable en recourant, par provocation autant que par conviction, au vocabulaire, aux symboles et au passé de l’extrême droite – allant jusqu’à déclarer, juste avant la campagne présidentielle, que les chambres à gaz ne sont qu’un « détail » de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.
Ensuite parce que le FN capte une partie de l’électorat de la droite modérée, en se montrant plus ferme dans son opposition à la gauche et plus ouvert aux questions sociales : il concurrence ainsi directement la droite gouvernementale en la privant parfois de la victoire, comme lors des législatives de 1997. Enfin parce que le renforcement de la construction européenne, relancée par le traité de Maastricht en 1992, et le déploiement de la mondialisation, favorisée par la chute du monde communiste, rend de plus en plus inconciliables les libéraux, partisans de cette évolution internationale, et les nationaux, qui la refusent.
Comme chef de gouvernement entre 1986 et 1988, puis principal leader de l’opposition entre 1988 et 1993 et enfin comme président de la République, Jacques Chirac incarne ce refus de l’alliance avec l’extrême droite et la pratique du « cordon sanitaire » entre la droite républicaine et le FN qu’il impose d’abord à ses troupes par conviction personnelle, fût-ce au prix de déconvenues électorales.
Cette opposition culmine lors du second tour de l’élection présidentielle de 2002, au cours duquel Jacques Chirac combat Jean-Marie Le Pen en invitant « toutes les Françaises et les Français à se rassembler pour défendre les Droits de l’Homme, pour garantir la cohésion de la Nation, pour affirmer l’unité de la République, pour restaurer l’autorité de l’État ».
La droite de 2024 : un rôle d’appoint
De ce combat fondateur de 2002 a émergé l’UMP qui, comme le parti qui lui succède en 2015 – les Républicains –, n’a plus jamais envisagé d’alliance avec le Front puis avec le Rassemblement national.
Nicolas Sarkozy fonde ainsi sa victoire présidentielle en 2007 sur sa capacité à réaliser une synthèse des différentes sensibilités de droite et à « siphonner » une partie de l’électorat du FN sans se compromettre dans une alliance avec ses dirigeants tout en reprenant certaines de ses idées et en contribuant à les banaliser. Mais l’échec final de la présidence de Sarkozy et la montée d’un FN qui réussit à se banaliser dans le champ politique fait voler en éclats cet effort de synthèse.
Les tensions multiples qui ont marqué la vie interne du parti entre 2012 et 2017 et qui ont précédé le reflux électoral des années 2017-2024 soulignent l’incapacité de la droite dite « républicaine » à définir une ligne cohérente et autonome.
Longtemps placée en position de force par rapport au centre droit (incarné par François Bayrou) comme à l’extrême droite, elle est désormais cantonnée au rôle d’appoint vis-à-vis de l’une ou l’autre de ces deux familles politiques.
Réduite au rôle de supplétif, écartelée et menacée d’implosion, elle n’est aujourd’hui plus un acteur principal de cette guerre des droites qui continue pourtant de marquer le paysage politique français.
Mathias Bernard
Historien et président de l'Université Clermont Auvergne (UCA)
The Conversation
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