The Conversation - La voiture menace discrètement des milliers de sites archéologiques en France. Érosion, pollution, surfréquentation… Et si changer nos habitudes de déplacement devenait la clé pour préserver ces trésors millénaires ? Tour d’horizon des solutions concrètes pour concilier tourisme et protection du patrimoine.
La voiture menace discrètement des milliers de sites archéologiques en France. Érosion, pollution, surfréquentation… Et si changer nos habitudes de déplacement devenait la clé pour préserver ces trésors millénaires ? Tour d’horizon des solutions concrètes pour concilier tourisme et protection du patrimoine.
La France regorge de sites archéologiques, parfois âgés de plusieurs millénaires. Pourtant, une pratique banale de notre quotidien – l’utilisation systématique de la voiture – risque de les fragiliser durablement. Mais changer nos habitudes n’est peut-être pas aussi compliqué qu’il y paraît, surtout quand on sait à quel point ces lieux historiques sont déjà menacés.
Un héritage sur le fil
Selon l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), plus de 4 000 sites d’intérêt majeur parsèment l’Hexagone. Pourtant, une étude récente signale que près d’un quart d’entre eux souffrent déjà de dégradations liées à la fréquentation motorisée : élargissement de routes, parkings empiétant sur des zones sensibles, ou encore pollution de l’air qui érode les structures anciennes. Dans certains cas, on observe même une accélération de l’érosion des sols là où les véhicules se massent.
À ce rythme, le risque n’est plus seulement théorique : plusieurs gestionnaires de sites alertent sur les possibles fermetures au public si l’affluence reste incontrôlée. On sait par exemple que la grotte de Lascaux fut close des années durant pour la protéger de la surfréquentation et des pollutions associées. Doit-on en arriver là pour d’autres trésors nationaux ?
Le paradoxe du visiteur
Il existe une contradiction frappante : nombre de touristes et d’amateurs d’histoire disent adorer ces vestiges, mais contribuent malgré eux à leur détérioration en privilégiant la voiture individuelle. Pour reprendre l’expression d’un guide local : « On vient admirer un héritage millénaire… en polluant l’air qu’il nous reste. » C’est un paradoxe que nous avons cherché à mieux comprendre dans une recherche récente fondée sur la théorie du comportement planifié.
Dans le cadre de cette recherche, nous avons mené une enquête menée auprès de 760 visiteurs. Les résultats dévoilent que deux facteurs clés encouragent l’abandon du « tout voiture » par un individu :
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une perception favorable à l’endroit de la mobilité douce : lorsque le vélo, la marche ou les navettes collectives sont positivement perçus, c’est-à-dire comme des comportements plus agréables, plus sûrs et utiles pour préserver les sites, les visiteurs se montrent plus disposés à franchir le pas en les intégrant dans leurs déplacements sur les sites ;
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une connaissance concrète des enjeux environnementaux par l’individu : la compréhension qu’un déplacement « propre » réduit l’érosion et la dégradation des vestiges renforce la motivation.
En revanche, notre étude révèle que nos croyances sur ce que des personnes proches ou importantes pour nous font en matière de mobilité douce (les fameuses normes sociales descriptives) n’ont pas l’effet escompté su notre comportement : autrement dit, ce que nous croyons être les pratiques de nos proches en matière d’utilisation de la voiture n’a aucun effet sur notre intention de l’utiliser pour visiter un site archéologique. A contrario, la réelle bascule se fait souvent par l’intermédiaire d’un lien affectif fort avec le lieu : quand on est attaché à un territoire, à son histoire, on est bien plus enclin à changer ses habitudes pour visiter un site archéologique.
Des preuves sur le terrain
Heureusement, certains lieux font bouger les lignes. Au pont du Gard, on trouve des cheminements piétons et des pistes cyclables qui permettent de réduire l’afflux automobile. La vallée de la Loire s’appuie depuis des années sur l’itinéraire « la Loire à vélo », offrant aux visiteurs un panorama culturel et naturel sans avoir à se faufiler entre les voitures.
Autre exemple : la grotte Chauvet 2, en Ardèche, propose des tarifs réduits à ceux qui optent pour un mode de transport sobre en carbone. Cette simple mesure a déjà incité bon nombre de touristes à choisir des solutions alternatives. À l’heure où l’OMS alerte sur la qualité de l’air liée aux embouteillages en zone touristique, il semble plus que jamais temps de systématiser ce genre d’initiatives.
La question de l’argent et de la facilité
Certains diront que changer de mode de déplacement engendre un surcoût ou prend plus de temps. Pourtant, selon l’Agence de la transition écologique (Ademe), un trajet à vélo ou en navette revient souvent bien moins cher qu’un déplacement en voiture, surtout si l’on inclut le coût du carburant, du stationnement ou encore du péage. Par ailleurs, le problème de « gain de temps » est parfois illusoire : passer une heure dans les bouchons pour accéder à un site archéologique n’a rien d’efficace et d’enrichissant culturellement…
En fait, le vrai défi réside plutôt dans l’aménagement territorial : proposer des bus adaptés aux horaires touristiques, assurer la sécurité sur les pistes cyclables, communiquer clairement sur les solutions de covoiturage. Les collectivités locales et les opérateurs de tourisme ont donc un rôle clé à jouer pour rendre ces alternatives vraiment accessibles.
Un angle d’actualité
Avec la hausse régulière des prix du carburant et les pics de chaleur estivaux, la voiture devient moins attrayante pour de nombreux Français. Certains sites archéologiques subissent d’ailleurs un phénomène de « surtourisme » en été, saturant leurs parkings et détériorant le cadre de vie. Or, la mobilité douce répond en partie à cette problématique de saturation : moins de véhicules, moins de tension sur les espaces de stationnement et un flux de visiteurs mieux réparti.
Ajoutons à cela la dynamique post-Covid qui a vu nombre de personnes redécouvrir la marche ou le vélo comme mode de transport du quotidien. Capitaliser sur cet engouement paraît logique pour préserver, dans la foulée, nos monuments historiques. En ce sens, pourquoi ne pas multiplier les « journées sans voiture » autour de sites archéologiques sensibles ? Pourquoi ne pas offrir des billets couplés train + vélo + visite, comme certains festivals de musique le font déjà ?
Un appel à l’action
Quiconque prépare une sortie vers un site archéologique peut d’abord s’interroger : ai-je vraiment besoin de ma voiture ? Le covoiturage, la location de vélos électriques ou même une randonnée guidée depuis la gare la plus proche peuvent tout changer, tout en procurant un vrai plaisir à travers une authentique expérience de découverte d’un lieu.
Les gestionnaires de sites ont également la possibilité d’aller plus loin en installant des parkings à vélos sécurisés, en négociant avec les autorités pour améliorer les réseaux de bus, en offrant des réductions à l’entrée pour les visiteurs « verts », ou encore en utilisant les réseaux sociaux pour promouvoir ces alternatives.
Enfin, si vous êtes un élu local, un bénévole associatif ou simplement un habitant fier de son patrimoine archéologique, rappelez-vous que chaque décision en matière d’urbanisme ou de politique tarifaire influe sur la mobilité. Au fond, laisser la voiture au parking ne relève pas d’une tendance passagère et éphémère : c’est un choix déterminant pour préserver nos sites archéologiques de l’érosion et du risque de fermeture et permettre ainsi aux générations futures de les admirer sans subir les conséquences d’une surfréquentation qui fut mal gérée.
Cet article est republié à partir de notre étude sous licence Creative Commons. Il synthétise les principaux résultats de recherche sur la mobilité douce appliquée aux sites archéologiques français.
Cédrine Zumbo-Lebrument, Enseignante-chercheuse en marketing, Clermont School of Business et Norbert Lebrument, Professeur des universités, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.