Publié le 22 octobre 2024 Mis à jour le 23 octobre 2024

The Conversation - L’incendie de Notre-Dame en avril 2019 a marqué le monde, bien au-delà d’une simple catastrophe architecturale. Cet événement tragique a provoqué une vague d’émotion internationale qui s’est fortement exprimée sur Internet.

L’incendie de Notre-Dame en avril 2019 a marqué le monde, bien au-delà d’une simple catastrophe architecturale. Cet événement tragique a provoqué une vague d’émotion internationale qui s’est fortement exprimée sur Internet. C’est à cette occasion que nous nous sommes aperçus que les individus ont tendance à attribuer des caractéristiques humaines et surhumaines à la cathédrale Notre-Dame : un phénomène que nous appelons « anthropomorphisme patrimonial ».


La notion d’anthropomorphisme a déjà été appliquée aux marques, à la nature, ou encore aux objets technologiques, mais jamais au patrimoine. Dans le cas de Notre-Dame, la mobilisation de cette notion semble pourtant très appropriée.

Cette dynamique va au-delà de la simple projection émotionnelle sur un édifice : elle symbolise une perte collective ressentie comme la mort d’un être cher. C’est ce phénomène d’anthropomorphisation, assorti d’un processus de deuil, que nous avons étudié. Pour ce faire, nous avons analysé le réseau social X/Twitter et avons collecté tous les posts mentionnant Notre-Dame le lendemain de l’incendie, ce qui représente un réseau de 21 216 utilisateurs, avec 6394 posts, 752 réponses et 17 939 mentions. Nous avons complété cette première collecte par une étude des principaux titres de la presse écrite, soit 559 articles, afin de saisir la manière dont cet événement a été représenté dans le discours médiatique.

La cathédrale, un être vivant

Notre-Dame de Paris, avec ses 850 ans d’histoire, a toujours joué un rôle central dans la culture et l’identité françaises. Peut-être pour cette raison, l’incendie d’avril 2019 a provoqué une réaction émotionnelle unique : des millions de personnes, de tous horizons et de nombreux pays, ont commencé à parler de la cathédrale comme si elle était un être vivant, dotée de qualités humaines, voire surhumaines. Des termes comme blessée, vulnérable ou résiliente ont envahi les médias et les réseaux sociaux, illustrant ce processus d’anthropomorphisation. Le bâtiment est soudainement devenu plus qu’un monument : il est devenu un personnage à part entière, avec une histoire, une personnalité, une morphologie, et une capacité à souffrir et à se relever.

Ce phénomène a pris une dimension encore plus importante pour certains internautes, qui ont commencé à percevoir Notre-Dame comme une sorte de divinité immortelle, capable de survivre à toute adversité. L’idée d’une cathédrale « résiliente », capable de renaître de ses cendres, a dominé certains discours, renforçant l’idée que Notre-Dame représente bien plus qu’un simple monument. Cette attribution de qualités surhumaines a renforcé l’engagement émotionnel des individus envers le monument, le plaçant au centre de leur identité collective et de leur patrimoine partagé.

Un processus de deuil collectif

Face à la destruction partielle de la cathédrale, la plupart des personnes ont vécu l’incendie comme une perte personnelle, s’engageant dans un véritable processus de deuil. Ce phénomène révèle que la perte de lieux patrimoniaux, perçus comme des proches, déclenche des émotions similaires à celles ressenties lors du décès d’un être humain proche.

Les étapes classiques du deuil se sont ainsi manifestées dans les réactions en ligne et hors ligne à propos de Notre-Dame. Il y a d’abord eu le choc, qui survient immédiatement après l’annonce de l’incendie, laissant les individus « sans voix » et « horrifiés ». Cette réaction s’est accompagnée d’un déni, où les gens « refusent de croire » que la cathédrale, perçue comme éternelle, puisse disparaître.
 

Leighton Kille/TCF, CC BY-SA


À mesure que les faits deviennent inévitables, l’acceptation se mêle à la colère, et les individus cherchent des responsables pour cette tragédie. Cette colère masque souvent une tristesse profonde et la peur de perdre définitivement ce monument emblématique. Les émotions fortes traduisent une prise de conscience du drame. La perte de Notre-Dame amène également des questionnements existentiels. Le monument étant un symbole d’identité collective, sa destruction partielle suscite des interrogations sur l’humanité, le passé, et l’avenir.

Une autre façon d’exprimer le chagrin, révélée par les données, est le partage de souvenirs du défunt : une dernière visite, un souvenir associé à la cathédrale, etc. Enfin, la phase de rétablissement se manifeste par une énergie collective, symbolisée par les efforts pour reconstruire Notre-Dame, rappelant sa résilience à travers l’histoire.

Une mobilisation sans précédent

Cette charge émotionnelle a généré une mobilisation mondiale spectaculaire, puisque ce fut l’événement le plus médiatisé de 2019. En moins de 48 heures, plus d’un milliard d’euros de dons ont été récoltés pour la reconstruction de la cathédrale, venant non seulement de grandes fortunes, d’entreprises mais aussi de particuliers anonymes désireux de participer au sauvetage de ce symbole immortel. Les réseaux sociaux ont joué un rôle clé dans cette mobilisation, permettant aux individus de partager leur peine, mais aussi leur espoir de voir la cathédrale se relever, comme un proche que l’on soutient dans sa souffrance.

L’anthropomorphisme patrimonial, en attribuant des caractéristiques humaines à un monument, a finalement permis de transformer une tragédie en un moment de rassemblement et de solidarité mondiale. Ce phénomène a montré que le patrimoine, loin d’être une simple structure matérielle, constitue un pilier de l’identité collective, une entité capable de provoquer des émotions puissantes et d’engager les individus dans des actions concrètes, notamment le fait de donner.
 

Le rôle crucial du patrimoine dans la mémoire collective

L’incendie de Notre-Dame a révélé la profondeur des liens entre les individus et leur patrimoine. En anthropomorphisant la cathédrale, des millions de personnes à travers le monde ont non seulement exprimé leur douleur, mais ont aussi montré que la perte d’un monument n’est pas simplement une question de destruction matérielle, mais bien une atteinte à la mémoire et à l’identité collectives.

La capacité de Notre-Dame à incarner des qualités humaines et divines a renforcé son statut de gardienne de l’histoire et des valeurs culturelles, rappelant à chacun l’importance de protéger et de célébrer ce qui constitue notre héritage commun.

L’anthropomorphisation du patrimoine ne se limite toutefois pas aux périodes de destruction, comme l’illustre l’exemple de Notre-Dame. Sur la base de ce premier travail, il serait maintenant pertinent d’étudier cette dynamique dans un contexte plus large, afin de mieux comprendre quels monuments sont susceptibles de susciter des projections anthropomorphiques. Par exemple, des sites comme la Tour Eiffel ou le Mont-Saint-Michel, bien qu’intacts, sont souvent perçus comme des entités dotées de caractère, de personnalité, et parfois même de vulnérabilité.

Il serait intéressant d’explorer les caractéristiques spécifiques qu’un monument doit posséder pour qu’il soit personnifié. Ces caractéristiques pourraient inclure son histoire, son symbolisme culturel ou son rôle dans l’imaginaire collectif.

Cela permettrait d’élargir notre compréhension de la manière dont les êtres humains établissent des liens émotionnels avec des structures patrimoniales, transformant ainsi ces monuments en véritables « acteurs » de notre histoire collective et de notre mémoire culturelle.The Conversation

Damien Chaney, Professor, EM Normandie et Pascal Brassier, Maïtre de Conférences, Direction Commerciale & International Business, IAE, Université Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.