Quand on parle de radioactivité, on pense souvent aux dangers du nucléaire ou aux bombes atomiques... Mais la radioactivité est avant tout naturelle. La Zone Atelier Territoires Uranifères - abrégée “ZATU”- rassemble un consortium de scientifiques autour de l’étude des environnements naturellement radioactifs d’Auvergne. Clarisse Mallet, microbiologiste au Laboratoire Microorganismes, Génome Environnement et directrice de la ZATU nous parle avec enthousiasme des nouvelles orientations de la zone atelier qui entame un nouveau mandat cette année.
Quand on parle de radioactivité, on pense souvent aux dangers du nucléaire ou aux bombes atomiques... Mais la radioactivité est avant tout naturelle. La Zone Atelier Territoires Uranifères - abrégée “ZATU”- rassemble un consortium de scientifiques autour de l’étude des environnements naturellement radioactifs d’Auvergne. Clarisse Mallet, microbiologiste au Laboratoire Microorganismes, Génome Environnement et directrice de la ZATU nous parle avec enthousiasme des nouvelles orientations de la zone atelier qui entame un nouveau mandat cette année.
Quelles sont les particularités d’une “zone atelier” par rapport à d’autres projets faisant intervenir plusieurs disciplines scientifiques ?
C. M. : Une “zone atelier” est un site de recherche interdisciplinaire porté par le CNRS et associé à un territoire particulier. Pour nous, c’est le territoire uranifère (qui contient de l’uranium) auvergnat. Et j’insiste sur l’aspect “interdisciplinaire” plutôt que “pluridisciplinaire” car l’on utilise souvent, à tort, ces termes comme synonymes. La pluridisciplinarité c’est lorsque les disciplines scientifiques sont parallèles les unes aux autres, où chacun·e travaille indépendamment même si les résultats de chacun·e peuvent être partagés à l’occasion d’évènements de restitution. Mais l’interdisciplinarité c’est vraiment un croisement entre les disciplines qui travaillent ensemble, en co-construction, en concertation pour arriver à l’objectif commun qui a été défini. Ce qui est aussi particulièrement important dans une zone atelier, c’est l’intégration des acteur·rice·s de la société qui gravitent autour des sites de recherche. Enfin, contrairement à d’autres projets de recherche aux objectifs court-terme, les recherches qui y sont menées sont réfléchies sur le long terme : nous repartons pour un nouveau mandat de 5 ans.
Vous étudiez la radioactivité naturelle en Auvergne. De quel(s) site(s) de recherche parle-t-on et qu’y étudiez-vous ?
C. M. : Cela peut paraître surprenant mais l’Auvergne regorge en effet de sites naturellement radioactifs. Nous travaillons notamment sur diverses sources minérales et thermales radioactives ainsi que sur l’ancienne mine d’extraction d’uranium de Rophin dans le Puy-de-Dôme. Figure 1 Localisation de l'ancienne mine de Rophin - Figure 1 Localisation de l'ancienne mine de Rophin
Nos objectifs : étudier les liens entre radioactivité, vivant et société. Pour cela, biologistes et écologues; radiochimistes et géochimistes; mais aussi sociologues collaborent sur quatre grands axes de recherche scientifiques. Le premier a pour objectif d’étudier l’impact de la radioactivité des sources hydrothermales sur la biodiversité. Pour cela, après avoir échantillonné sur le terrain, nous étudions l’effet de la radioactivité sur les microorganismes (micro-algues, bactéries, diatomées…). Et nous obtenons des résultats assez inédits : nous venons par exemple de publier une nouvelle étude qui montre que l’interaction avec des bactéries pourraient augmenter la tolérance de certaines diatomées à la radioactivité !
Figure 2 Observation au microscope de microalgues (diatomées, cyanobactéries) présentes dans les sources minérales naturelles radioactives - Figure 2 Observation au microscope de microalgues (diatomées, cyanobactéries) présentes dans les sources minérales naturelles radioactives
Un second axe concerne l’étude des transferts des radio-éléments dans l’environnement et leurs impacts sur le site de Rophin. Le troisième, plus sociologique, concerne l’étude des diverses représentations des risques par la société proche de ces sources de radioactivité. Enfin, nous avons développé un quatrième axe de recherche qui fait le pont entre les trois autres. Il a pour objectif de créer des outils collaboratifs de partage de données ou d’instrumentations, comme l’installation de capteurs physico-chimiques par exemple, pour les diverses expériences à mener.
Nouveau mandat, nouvelles orientations: quelles sont-elles ?
C. M. : Nous souhaitons continuer de travailler sur les projets de recherche précédemment mentionnés mais avec encore plus d’interdisciplinarité. Nous avons aussi la forte volonté d’intégrer de plus en plus de sciences humaines et sociales. Et c’est déjà en cours puisque de nouvelles unités en sciences humaines et sociales sont entrées, il y a peu, dans la ZATU. Le travail sociologique autour de la perception des risques par la société va être renforcé et, alors qu’il ne concernait que la mine de Rophin, il sera élargi à tous les socio-écosystèmes [1] de la ZATU. Nous voulons aussi renforcer le lien avec les acteur·rice·s de terrain tel·le·s que le Conservatoire d’Espaces Naturels en Auvergne ou certaines communes avec qui nous n’avions pas encore collaboré sur des projets concrets car étions concentrés sur de la recherche plus fondamentale. Il est par exemple prévu que la ZATU soit intégrée dans les discussions menées par la commune de Saint-Maurice (Puy-de-Dôme) autour de l’aménagement de la source de Sainte-Marguerite.
Figure 3 Photos des sources minérales étudiées - Figure 3 Photos des sources minérales étudiées
Enfin, en développant des projets d’art et science sur le territoire, nous visons à inclure la société dans nos questionnements autour de la radioactivité naturelle en Auvergne. Et pour se faire, nous continuerons d’organiser des rencontres entre participant·e·s de la ZATU au moins une fois par an. Je me réjouis déjà de l’équipe actuelle. On sent qu’il y a un réel engagement des acteur·rice·s de la zone atelier et j’ai hâte de la suite !
Votre rôle est particulier dans la ZATU car vous en êtes la directrice. Qu’est-ce qui vous a motivé à prendre cette responsabilité ?
C. M. : J’ai d’abord intégré la Zone Atelier en 2017 en tant que microbiologiste participante dans les projets concernant l’impact de la radioactivité sur la biodiversité et les transferts des radio-éléments sur l’ancienne mine de Rophin. J’y ai étudié l’impact de la contamination radioactive de l’ancienne extraction minière sur les microorganismes (bactéries et microalgues) d’un ruisseau qui traverse la zone humide du site.
Figure 4 Zone humide instrumentée en aval de l'ancienne mine d'extraction d'uranium - Figure 4 Zone humide instrumentée en aval de l'ancienne mine d'extraction d'uranium
En 2022, après le décès brutal de David Buron, le Directeur en place, il s’est posé la question de qui allait prendre la suite. Et je me suis proposée. En fait, j’ai tellement été convaincue par cette interdisciplinarité que je vivais en tant que chercheuse au sein de la ZATU que j’ai voulu en être moteur en prenant sa direction en janvier 2023. Je souhaite encore plus intégrer les sciences humaines et sociales et l’art dans nos projets qui a priori concernent plus les sciences exactes et naturelles. Je suis convaincue que ces disciplines nous permettent d’aborder nos travaux de recherche d’une autre façon, de prendre de la hauteur sur ce que l’on fait, de mettre nos questionnements scientifiques au centre de la société !
[1] Socio-écosystème : La notion de socio-écosystème est un cadre d’analyse de systèmes locaux intégrant les interactions entre un compartiment écologique et un compartiment socio-économique. La dynamique propre de chaque compartiment a un impact sur et est influencé par l’autre.
Clarisse Mallet
Maître de conférences à l'Université Clermont Auvergne (UCA) et membre du Laboratoire Microorganismes: Génome Environnement (LMGE, UCA/CNRS)